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Tout au plus peuvent-ils jouer dans l’organisme politique le rôle du levain qui fait lever la pâte. Ils sont les initiateurs, les apôtres, ceux qui répandent la bonne parole, ceux qui luttent, et ceux qui se battent. Mais ils ne réussissent, la victoire n’est à eux, que du jour où les masses indifférentes, incapables par elles-mêmes d’attachement, hostiles la veille encore sous une influence adverse, vont à eux, adoptent leurs idées et se rallient à leur doctrine. Un régime n’a d’assiette, il ne pousse des racines que le jour où il cesse d’être la propriété d’un parti pour devenir l’héritage d’une nation. La république ne sera vraiment intangible que le jour où elle aura laissé les ralliés la gouverner.

N’est-ce pas la leçon de l’histoire? En Angleterre, le régime parlementaire n’a été irrévocablement fondé que lorsque le gouvernement eut cessé, en 1760, d’être le monopole de la coterie des whigs de 1688. Jusqu’à l’avènement de George III, la dynastie des Stuarts et le dogme de la légitimité avaient conservé dans la noblesse rurale et le clergé anglican bien des fidèles. Le jacobitisme était une puissance, non seulement parmi les clans des highlands d’Ecosse, où régnait, avec la pauvreté, l’esprit féodal, mais dans la riche et libre Angleterre. De la survivance de ce loyalisme anti dynastique, le plus grave inconvénient n’était pas l’existence d’une faction rebelle, prête à s’insurger comme en 1745 : c’était l’influence délétère exercée sur le parti constitutionnel. Au nom du péril jacobite, les whigs se réservaient le monopole du pouvoir, à l’exclusion des tories, accusés, non sans raison, de sympathies illégales pour les Stuarts. Pendant plus d’un demi-siècle après l’avènement de la maison de Hanovre, les tories ou la droite conservatrice se virent en butte à une suspicion légitime parce qu’il y avait à côté d’eux une faction jacobite. recrutée dans les mêmes rangs, animée des mêmes sentimens, mais implacablement hostile à la Révolution de 1688 et à l’Acte de succession. Pendant plus d’une génération, sir Robert Walpole et les whigs pratiquèrent la politique de la concentration et de l’ostracisme. Elle porta ses fruits naturels : le régime parlementaire faussé, le développement inouï de la corruption, on ne sait quelle atmosphère de scepticisme gouailleur et d’âpre défiance, l’extrême suspicion dans l’extrême indifférence, l’abandon graduel des grands principes dont les formes constitutionnelles n’auraient dû être que le revêtement externe. Vint enfin le jour où les plus obstinés reconnurent que la dynastie des Stuarts était