Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/785

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et idéale qui est censée gouverner. Celle-ci comprend dans une touchante confusion les radicaux et les modérés, intransigeans, opportunistes, centre droit, centre gauche. Celles-là. en fait, sont presque toujours formées de l’un ou de l’autre de ces groupes avec l’appoint d’une partie tout au moins de l’opposition. S’agit-il de jouer un bon tour à la République? l’extrême gauche et la droite irréconciliable forment la majorité. S’agit-il de sauver une institution sociale? Les républicains modérés et la droite sage votent ensemble. Il est entendu que ces alliances d’un jour ne sauraient avoir de lendemain. L’idée ou plutôt le dogme de la majorité républicaine est entièrement indépendant de ces accidens de la pratique. De là vient qu’il y a bien des majorités, mais qu’il n’y a point de majorité au sens précis, positif, limité, où il faut prendre ce mot pour faire de la chose l’une des bases du régime parlementaire effectif.

D’où il résulte qu’il n’y a pas davantage de cabinets. Un cabinet, ce sont les chefs de la majorité, appelés aux affaires et chargés du pouvoir pour réaliser le programme du parti. Jusqu’ici nous n’avons rien vu de semblable. A vrai dire, il n’y a eu qu’un homme qui eût été en mesure de remplir ce rôle de leader tout en exerçant les fonctions de premier ministre. Cet homme c’était Gambetta. On sait quel concours de circonstances fit de son ministère — du grand ministère — l’un des plus tristes avortemens de la politique moderne et comment la coalition de l’Élysée-Grévy et de l’intransigeance-Clémenceau étrangla entre deux portes le vrai fondé de pouvoirs de la majorité républicaine. Les présidents du conseil qui se sont succédé depuis lors n’ont eu ni ces ambitions, ni ce destin. Jules Ferry, qui seul peut-être avait l’envergure d’un homme de gouvernement, succomba également sous la coalition des médiocrités qu’il offensait. Depuis lors il n’y a point eu de ministère au sens parlementaire du mot.

Les cabinets n’ont su ni vivre ni mourir. On peut dire que si, dans un sens, on en a changé sans cesse, dans un autre, jamais on n’en a changé. Ce que l’on appelle une crise ministérielle, c’est le plus souvent la sortie par une porte et dans un certain ordre de quelques messieurs, vieux, mûrs ou jeunes, précédés de l’un d’entre eux, et la rentrée par une autre porte et dans un ordre un peu différent de ces mêmes messieurs, jeunes, mûrs ou vieux, sous la conduite d’un autre d’entre eux. On a vu tel politicien diriger