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« Le pays est désormais face à face avec lui-même, disait M. Lebon dans son discours du 17 janvier; il ne peut plus faire remonter à des princes usés par le plaisir, à des aristocraties énervées par le privilège la responsabilité de ses erreurs et de ses mécomptes. Puisse notre démocratie ne pas donner à son tour l’exemple d’une telle ingratitude et de pareilles défaillances! Ou, s’il lui plaît, comme c’est son droit strict, de broyer ses serviteurs les plus dévoués et les plus valeureux, qu’elle sache du moins recueillir leurs desseins et maintenir leurs traditions ! » Il faut souhaiter à cet effet que nous cessions de juger des choses lointaines sans sortir de chez nous, que nous renoncions à croire que nous les connaissons mieux que ceux qui les ont vues de près. La Compagnie des Indes ne cherchait pas à s’éclairer en discutant avec Dupleix, elle ne lui demandait pas de renseignemens, de conseils, elle lui intimait des ordres. Quand une escadre anglaise se disposait à assiéger Pondichéry et qu’il s’occupait de mettre la place hors d’insulte, les directeurs lui enseignaient que l’économie est le secret de la richesse ; ils le sommaient « de réduire absolument toutes les dépenses de l’Inde à moins de moitié, de suspendre toutes les dépenses de bâtimens et fortifications. » Plus tard, quand il se préparait à une lutte inévitable et prenait toutes ses mesures pour avoir la fortune de son côté, la Compagnie lui remontrait « qu’il ne faut jamais recourir aux armes lorsqu’on peut faire autrement, que la guerre est toujours un mal, que la paix est l’âme du commerce, qu’en intervenant dans les querelles du pays, on se rendait odieux, qu’il faut se faire respecter sans se faire redouter. » Admirable sagesse ! on ne se doutait pas à Paris que les Asiatiques ne respectent que ce qui leur fait peur, qu’ils méprisent ce qu’ils ne craignent pas. Ces savans docteurs enseignaient à un Dupleix la politique et l’Orient. Un rhéteur grec avait jadis enseigné la guerre à Annibal.

Comme le conseil et les actionnaires de la Compagnie des Indes nos politiciens ont la sagesse infuse et des aphorismes, des axiomes qui leur sont chers et sacrés. Les jugemens téméraires, les grands principes invoqués hors de propos, appliqués hors de leur place, nous font beaucoup de tort; c’est une maladie que nous devrions soigner.


G. VALBERT.