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du XVe siècle, depuis Fra Beato Angelico et Jehan Foucquet, c’est la plus libre et la plus complète tentative qu’on ait faite pour rajeunir et humaniser l’iconographie chrétienne. »

On ne saurait mieux résumer l’impression que nous eûmes tous, alors, en présence de cette œuvre vraiment gigantesque, réalisée par M. Tissot avec une patience, un soin, un talent merveilleux. Nous ne nous fatiguions pas de contempler ces claires et harmonieuses images, admirant la force expressive des couleurs, l’élégance du dessin, la variété et la nouveauté de l’agencement des figures. Mais ce qui nous touchait davantage encore, ce qui achevait de faire pour nous de cette série de peintures une œuvre, d’un genre spécial, dans un Salon où M. Béraud avait précisément exposé un Christ en Croix et M. de Uhde une Fuite en Égypte, c’est que nous devinions que l’art n’était ici qu’un moyen, tandis que l’objet véritable de l’artiste avait été de ramener vivante, parmi nous, la divine personne du Christ. Nous le devinions, et lui-même, on s’en souvient, avait pris la peine de nous l’expliquer. Au centre de la série, il avait placé un grand tableau où deux vieillards infirmes et misérables, tristement assis parmi des ruines, voyaient s’approcher d’eux un voyageur inconnu, un être plus infirme encore et plus misérable, mais dont la seule approche les rappelait à la vie. « Ruines récentes, avait écrit le peintre au bas du tableau, ruines de la civilisation moderne qui s’est fiée vainement à la science et à la liberté pour la conduire au bonheur, et qui se sent mourir dans des convulsions d’envie et de haine, faute d’une foi morale et d’une haute espérance. » Les deux vieillards se désespèrent. « Mon Dieu ! mon Dieu ! » gémissent-ils sans même plus savoir ce que c’est qu’un Dieu. « Mais au contact du nouveau venu une chaleur se dégage de tout leur être ; ils se réconfortent, prennent courage en écoutant des voix intérieures. » Ce nouveau venu, c’est le Dieu qu’ils appelaient, c’est Jésus leur seigneur miraculeusement retrouvé. Ainsi il s’est approché de M. Tissot, sur les bords désolés du lac de Génézareth : et c’est lui que M. Tissot a voulu nous ramener, pareil à ce disciple qui jadis, ayant cru en lui, l’emmena dans sa maison pour qu’il convertît ses deux frères.


Encore le caractère essentiellement religieux de cette œuvre toute chrétienne nous apparait-il avec une clarté et un relief bien supérieurs dans la magnifique reproduction que nous en offre aujourd’hui