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place nous voyions surgir « l’admirable figure humaine » que Renan nous avait ramenée en échange de lui. Encore cette figure ne nous apparaissait-elle, le plus souvent, qu’entourée d’un épais brouillard d’exégèse : non que nous attachions plus d’importance qu’il ne convient aux argumens soi-disant critiques de Renan et de ses confrères sur l’existence d’un « protévangile », sur l’inauthenticité de l’Évangile de Saint-Jean, sur les contradictions des trois Synoptiques; tout cela, en vérité, nous l’avions oublié, comme un choc passager de vaines paroles ; mais il nous en était resté de vagues formules qui nous bourdonnaient aux oreilles, et l’ombre même du Christ nous apparaissait indistincte. Celui que nous appelions était décidément trop loin. Nous sentions que, pour retrouver la foi en lui, il nous faudrait un miracle, qu’il faudrait qu’il se montrât à nous en chair et en os, comme à Thomas Didyme après sa résurrection, qu’il nous fit voir dans ses mains la marque des clous, et toucher du doigt la plaie de son côté.

Aussi l’émotion fut-elle grande, il y a trois ou quatre ans, lorsque nous apprîmes que M. Pierre Loti s’était mis en route pour chercher la trace du Christ à Bethléem, à Jérusalem, et sur les bords déserts du lac de Galilée. N’allait-il pas retrouver Jésus lui-même et nous le ramener ? L’heure n’avait-elle point sonné de ce nouveau miracle que nous attendions ? Hélas ! nous dûmes bientôt nous résigner à attendre encore. M. Loti était revenu seul de son voyage aux lieux saints : il nous disait bien qu’aux approches de Nazareth « le fantôme ineffable du Christ deux ou trois fois s’était montré à lui», mais il ajoutait qu’il l’avait « laissé fuir». Et en effet à peine si l’on en découvre çà et là une trace légère dans son livre, parmi tant de couleurs et tant de parfums, sous la délicieuse caresse d’une langue magique. En vain on s’attarde avec lui sur les montagnes qui dominent Nazareth, « ces mélancoliques étendues veloutées d’herbe et de lin » ; en vain on regarde les femmes de la ville de Marie se pencher à la fontaine « avec une souplesse lente, dans un rayon de soleil », et puis « se cambrer pour poser sur leurs épaules nues leur vase plein d’eau », en vain sur les bords du lac de Tibériade, «la vraie patrie sacrée », on écoute «le rappel des chèvres au chalumeau des bergers. » C’est un autre chant qu’on voudrait entendre, « le chant des revoirs éternels, que Jésus a chanté comme aucun prophète n’avait su le faire. » Et ce chant-là, M. Loti assure qu’il ne l’a pas entendu. « Les paroles