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soutenue par l’impunité, est restée la lèpre qui ronge l’empire ottoman. Le mal subsiste et il a si profondément pénétré dans les mœurs qu’il est manifestement incurable.

A quelles circonstances doit-on, après le fanatisme, attribuer cette défaillance de la probité, cette perversion des consciences en Turquie ? A l’absence de toute classe moyenne nourrie de cette instruction générale et de cette culture professionnelle qui permettent, dans les États civilisés, de l’utiliser au maniement des services publics comme dans les entreprises du commerce et de l’industrie. Supprimez, sur un point quelconque de l’Europe, celle qui est issue des universités et des parlemens ou des congrégations enseignantes, à qui remettrait-on le soin de distribuer la justice, d’administrer le pays ? C’est l’état de la Turquie ; qui est ainsi ravagée par le fanatisme et la vénalité, vices inhérens à une nation inculte, surtout quand elle se compose de races hostiles les unes aux autres par leur origine et par leur religion. C’est ainsi que les fonctions publiques, en Turquie, sont livrées à des agens impropres ou mal préparés aux devoirs de leurs charges et qu’ils s’acquittent de leurs attributions exclusivement au gré de leurs caprices et de leurs passions.

Ce qui a fait la fortune de Mehemet-Ali, c’est qu’il ne soutirait aucun abus, excepté ceux qu’il se permettait lui-même pour le raffermissement de son autorité. Dans des vues qu’il a réalisées, d’une main il pressurait le pays à outrance, de l’autre il lui imprimait violemment un essor nouveau ; mais il sévissait avec la dernière rigueur contre quiconque osait l’imiter dans un intérêt personnel. Témoin, d’autre part, de l’incapacité professionnelle de ses agens, il entreprit d’en créer des couches nouvelles ; il fonda des écoles de toute sorte ; il en exigea la fréquentation ; il envoya en Europe de nombreux élèves pour se former à la gestion de la chose publique. Malgré tous ces efforts, telle était encore, après lui, la pénurie de bons instrumens, que quand on voulut organiser définitivement l’administration sur des bases solides, on dut recourir à des étrangers ; on confia résolument les finances et la justice à des Européens venus de contrées diverses et désignés par leurs gouvernemens respectifs. On a constitué ainsi, bien avant l’occupation anglaise, des juridictions mixtes qui fonctionnent à l’entière satisfaction des justiciables, institué des commissions qui gèrent et défendent utilement les revenus du Trésor et les intérêts des particuliers. On a, depuis, essayé de ce