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traits bien « humains », et qui devaient achever de nous la rendre sans danger. « J’ai voulu faire, dit-il, un tableau où les couleurs fussent fondues comme dans la nature, qui fût ressemblant à l’humanité, c’est-à-dire à la fois grand et puéril. » Sur quoi il affirmait que Jésus aimait à mener grasse vie, qu’il mentait volontiers, que tous ses miracles étaient le fait d’un charlatanisme vulgaire, « de telles impostures supposant toujours l’acquiescement tacite de l’auteur principal ». Les disciples, d’ailleurs, n’étaient pas mieux traités que le maître. Renan ne pouvait croire, en vérité, que ceux d’entre eux qui se sont répandus dans Jérusalem en criant : Jésus est ressuscité! eussent été les mêmes qui avaient « enlevé le corps » quelques heures avant. « L’imposture, cette fois, eût été trop forte. » Mais il nous montrait ces pêcheurs grossiers se jalousant entre eux, s’acharnant sans pitié sur « le pauvre Judas », dans le fait duquel « il y a eu peut-être plus de maladresse que de perversité. »

Renan avait beau jeu, après cela, à appeler Jésus un « délicieux jeune homme », et à se représenter lui-même comme « son continuateur le plus authentique ». Son excursion en Palestine n’en avait pas moins eu pour objet de reconduire là-bas, une bonne fois, la divinité de Notre-Seigneur. Et quels que soient les motifs que nous ayons eus pour vouloir en être délivrés, il ne paraît pas que celui qui nous en a délivrés en ait eu aucun, lui, que de nous rendre service. Car les termes mêmes où il parle de la doctrine du «délicieux charlatan » prouvent que peu d’hommes en ont aussi profondément senti la surnaturelle beauté. Et quand il nous affirme, au début de son livre, qu’il lui est impossible de prendre au sérieux la divinité de Jésus, attendu que « jamais il n’y a eu jusqu’ici de miracle constaté », c’est ce propos même que nous devons nous garder de trop prendre au sérieux. Ne lisons-nous pas quelques lignes plus loin, dans la Vie de Jésus, que « l’histoire est pleine de synchronismes étranges, qui font que, sans avoir communiqué entre elles, des fractions de l’espèce humaine très éloignées les unes des autres arrivent en même temps à des idées et à des imaginations identiques »? Ce n’est point là, sans doute, un miracle tout à fait « constaté » ; mais on avouera qu’il est au moins aussi