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passer la meilleure part de leur vie en ce qu’ils appellent le service de Dieu, c’est-à-dire à désirer ce qu’ils ne peuvent obtenir, à pleurer ce qu’ils ne peuvent éviter et à réfléchir sur ce qu’ils ne peuvent comprendre... » Mais ce n’a pas été pour abdiquer devant le matérialisme le libre examen de son esthétique, ni pour s’incliner devant « l’insolence de la Science. » Il n’a pas laissé à la porte des laboratoires le scepticisme ardent qu’il avait osé introduire dans les cathédrales. Il n’a pas accepté que la raison, non plus que la foi, se débarrassât des problèmes qu’il lui posait en les niant ou en les amoindrissant. En pleine vigueur encore et en pleine gloire, dans toute la santé de sa pensée et avant le soir de sa vie, il est retourné devant la Nature, et, il l’a retrouvée inexpliquée, sinon dans ses forces, du moins dans sa Beauté. Or cette Beauté, il l’a toujours affirmée la grande inspiratrice des actions des hommes, la joie suprême et la loi pour toujours. Il faut donc qu’on la lui explique ou, si on ne l’explique pas, qu’on avoue le mystère dont notre vie la plus intense, notre vie admirative, est entourée. La porte de l’Inconnu que la Science prétend fermer, il la rouvre donc, sans fracas, mais avec fermeté, en montrant qu’il n’y a pas la Science, mais qu’il y a simplement des sciences diverses et qu’en voici une si peu avancée qu’elle est à peine connue et définissable et qui pourtant doit exister puisque son objet joue un si grand rôle dans les choses qui nous ont faits ce que nous sommes, et dans celles aussi que nous faisons. Il lui paraît certain que la question qu’il a posée reste entière et qu’il y a réellement plus d’Esthétique entre le ciel et la terre qu’on ne l’enseigne dans nos Écoles de philosophie...

Il revient donc vers le Dieu de sa jeunesse, non tant parce qu’il est la vérité que parce qu’il est la Beauté et que les philosophies n’expliquent que la laideur. Légendes pour légendes, il s’abandonne à celles qui ne flétrissent rien, qui n’assombrissent rien, qui s’accordent le mieux à son sentiment esthétique. Le Christ devient pour lui l’artiste suprême et doux qui travaille de ses mains à faire plus belle la demeure des hommes; c’est le jardinier rencontré par Madeleine, qui veille sur les fleurs nouvellement nées; c’est le peintre inconnu qui pose sur le bord de la gentiane la touche qui l’anime; c’est le tisseur subtil qui fait les vêtemens des lis plus éclatans que ceux de Salomon; c’est le vigneron admis à Cana et qui aujourd’hui encore, dans chaque