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chaque fois des territoires plus ou moins importans, les Turcs comprirent que leur domination était menacée de toute part ; cette conviction s’est rapidement propagée de Constantinople jusqu’aux provinces les plus reculées, et à leur mépris pour les chrétiens est venue s’ajouter une haine farouche et implacable qui a envahi l’âme irritée de tous les musulmans. Dans leur aveugle effarement, les plus exaltés n’ont connu qu’un moyen de conjurer le péril et de maintenir leur puissance : la dispersion ou l’anéantissement des chrétiens par l’extermination. Partout où ceux-ci ont osé les braver ils les ont combattus par le massacre, comme en Bulgarie, en Bosnie, à Damas et en d’autres lieux ; leur formidable ressentiment, toujours prompt à s’exaspérer, n’a compris aucun autre mode de sauvegarder leur prédomination. On a vu que quelques hommes éclairés, parmi les conseillers du sultan, animés d’autres sentimens, répudiaient ces sanglantes exécutions et qu’ils réprouvaient l’animosité furieuse qui les provoquait. Nous avons rappelé leurs louables efforts pour remédier à cet état des esprits et pour substituer, à une méthode empruntée à la plus féroce barbarie, un ordre de choses plus conforme à la morale publique et aux véritables intérêts de l’empire ottoman. Il serait puéril aujourd’hui de ne pas reconnaître que leurs espérances n’ont pas justifié leurs efforts. Si nous ne nous abusons, leur généreuse entreprise a échoué pour deux raisons capitales, l’une religieuse, l’autre sociale.


VI

Ils se sont heurtés en effet, dès le début de leur tentative, à l’implacable obstination des Osmanlis, restés réfractaires et rebelles à toutes les mesures prises pour les plier aux exigences d’une évolution qui troublait leur foi et méconnaissait leurs traditions en blessant profondément leur orgueil. Le Coran, ce code de morale et d’hygiène qui proscrit le jeu, le luxe et l’usage du vin, qui proclame l’infériorité de la femme, code à la fois civil et criminel, qui voue les infidèles à la servitude dans ce monde et aux peines éternelles dans l’autre, en garantissant aux bons croyans des joies ineffables de leur vivant et après leur mort, ce code est resté la loi suprême et intangible de tous les adeptes de l’islamisme. Dans les mosquées, dans les écoles qui en sont les annexes, on ne cessa de répudier hautement, surtout dans les provinces, les doctrines des réformateurs, de les dénoncer à