Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/624

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elles affectent les sens humains et l’âme humaine. La tâche de celle-ci est d’approfondir les impressions naturelles que ces choses font sur les créatures vivantes. Les deux sciences s’inquiètent également de la vérité, mais l’une de la vérité d’aspect, l’autre de la vérité d’essence. L’une étudie les relations des choses entre elles, l’autre étudie seulement leurs relations avec l’homme et, en tout ce qui lui est soumis, cherche seulement ceci : à quoi cette chose sert aux yeux de l’homme et à son cœur. »

Il y a une différence encore plus grande entre les facultés diverses que chacune de ces enquêtes met en jeu. Car tout en étant scientifique, c’est-à-dire expérimentale, par un de ses côtés, cette recherche sera surtout artistique et intuitive. Pour pénétrer les effets des choses de la Nature sur les yeux et sur le cœur, il faut bien voir plutôt que savoir et cela est l’affaire de l’artiste dont la finesse de vue va bien au delà des instrumens du savant. « Le travail de toute la Société géologique depuis quatre-vingts ans n’est point parvenu à la constatation des vérités qui concernent les formes de ces montagnes que Turner exprima en quelques coups de pinceau, il y a quatre-vingts ans, lorsqu’il était enfant. La connaissance de toutes les lois du système planétaire et de toutes les courbes du mouvement des projectiles ne rendront pas un homme de science capable de dessiner une chute d’eau ou une vague ; et tous les membres de Surgeon’s Hall, s’aidant les uns les autres, ne sauraient aujourd’hui voir ou représenter le mouvement naturel d’un corps humain en une action vigoureuse comme le fils d’un pauvre teinturier (il Tintoretto) le fit il y a trois cents ans. » Et pour bien sentir les effets de cette nature non seulement sur les yeux, mais sur le cœur, il ne suffit pas de la bien voir ; il faut encore la bien aimer. « Car peut-être que nous ne pouvons pénétrer le mystère d’une seule fleur et qu’il n’a pas été voulu que nous le puissions, mais bien que la poursuite de la science fût constamment étayée par l’amour de la beauté et l’exactitude de la connaissance par la tendresse de l’émotion. »

Cette faculté de nous-mêmes qui nous permettra de voir et d’étudier dans les hommes autre chose que de merveilleux automobiles, dans les plantes autre chose que des alambics et dans les fleurs autre chose que des remèdes, quelle sera-t-elle donc ? Et de quel nom l’appellerons-nous ? Évidemment ce n’est point l’intelligence, car les idées de beauté sont instinctives, et lorsqu’il s’agit