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ont transformé la terre? Direz-vous qu’il est inutile dans la vie que le soleil brille pourvu qu’il nous éclaire, et que les fleurs s’harmonisent pourvu qu’elles nous guérissent? Ou ne direz-vous pas plutôt que les rapports de ces choses à l’homme, de ces notions à notre intelligence et de ces apparences à nos actes et à nos sentimens, que toutes ces trames imperceptibles et puissantes,


Ces fils mystérieux où nos cœurs sont liés


nous paraissent trop subtils ou trop particuliers pour être démêlés, sans se rompre, par le grossier scalpel des sciences présentement organisées et organisées pour de tout autres besognes?

Pour qu’une science le pût, il faudrait qu’en étudiant la Nature elle ne tint pas compte seulement de sa composition chimique ou physique, de sa vérité, de son utilité, de sa richesse, de son évolution, de sa fécondité même, mais encore de la chose qu’on adore dans la vie et que dans le raisonnement on méprise, qui s’impose dans les faits et qu’on proscrit dans les systèmes, qu’on recherche et qu’on tait, qu’on rêve et qu’on redoute : — la Beauté. La seule psychologie qui pourrait rendre compte des phénomènes que nous venons de décrire, et de mille autres encore qu’on pressent ou qu’on devine, est celle qui tiendrait pour quelques-unes des qualités primordiales et dominantes des objets naturels leurs qualités de formes et de couleurs, leur action non sur le sens du toucher seulement, mais sur le sens le plus noble : la vue. et non sur nos sentimens de désir ou d’appropriation, mais sur le sentiment le plus désintéressé: l’admiration. La seule philosophie complète serait celle qui ne se demanderait pas seulement la cause des forces, mais aussi la cause des formes, qui ne fixerait pas seulement les lois de la création, mais aussi et surtout les joies de la création, qui ne classerait pas seulement les êtres par leurs aspects et leurs fonctions mécaniques, — comme on classe des moteurs dans une galerie des machines, — mais encore par leurs traits esthétiques et leurs indices ou reflets de la Beauté, — comme on classe des tableaux ou des statues dans un musée.

Cette philosophie ou cette science ne serait pas, dira-t-on, une science proprement dite, ni même une philosophie. Peut-être, et nous ne disputerons point sur les mots. Il y a en effet, entre les deux ordres de recherches, une profonde différence. « L’une considère les choses comme elles sont en elles-mêmes, l’autre en tant