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Sous l’empire de la terreur que leur inspiraient de si cruelles catastrophes, souvent renouvelées, ils se réfugièrent dans leur foi, et ils s’y cantonnèrent si étroitement qu’à la fin du siècle dernier on avait, en quelque sorte, perdu la notion des diverses nationalités auxquelles ils appartenaient. Grecs, Slaves, Arméniens, on les désignait tous indistinctement sous une dénomination générique et commune, celle de chrétiens et pour les Turcs ils étaient uniquement des rayas, sujets de race inférieure, taillables et corvéables à merci.

Mais survint un jour où le bruit des succès des Russes en Crimée, leur apparition dans la Mer-Noire, l’éclat des victoires de Bonaparte en Égypte réveillèrent ces populations du long sommeil où elles s’étaient endormies. L’espoir les saisit au cœur que le moine qui, selon la légende, s’est cloîtré dans les murs de Sainte-Sophie le jour où les musulmans y ont pénétré, allait surgir de sa retraite, et que la vénérable métropole, trop longtemps profanée, leur serait rendue avec la liberté et la délivrance, Ils formèrent des vœux et ils osèrent les exprimer. Ils en appelèrent à l’Europe qui accueillit leurs supplications ; ils invoquèrent plus particulièrement le secours du tsar, leur coreligionnaire, le potentat le plus proche et dont les armes avaient défait les Turcs en maintes batailles, et qui leur apparut comme l’envoyé du Seigneur, prédestiné à les relever d’un servage odieux. Sous l’empire de cette conviction, ils s’inféodèrent, en quelque sorte, à la légation de Russie dont ils se constituèrent les cliens. Sans évoquer, à l’appui de cet exposé, d’autres événemens qui le justifieraient plus amplement, nous rappellerons que les Serbes en 1819, les Grecs de l’Attique et de Morée en 1821 s’insurgèrent, revendiquant leur indépendance. Après une lutte sans merci de part et d’autre qui s’est prolongée pendant dix ans, après des exploits qui ont illustré les noms de Miloch Obrenowitch, de Canaris, de Botzaris et de tant d’autres héros, après une cruelle effusion de sang, la Serbie fut érigée en province autonome en 1829, la Grèce en royaume indépendant en 1830. La paix fut ainsi rétablie au nord et au midi de l’empire, mais le combat se trouvait désormais engagé entre les populations chrétiennes et leurs maîtres ; il a été plusieurs fois interrompu ; il a été souvent repris sous des formes et dans des conditions diverses. Les Roumains et les Bulgares ont été les derniers bénéficiaires de ces alternatives.

Périodiquement assaillis par l’esprit de révolte, perdant