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Castille réunis, c’est Ferdinand le Catholique qui le disait, au moment où Christophe Colomb venait de lui donner l’Amérique. Il s’en plaignait à Guichardin, alors ambassadeur près de lui[1] : « Nation très propre aux armes, lui confiait-il, mais désordonnée ; où les soldats sont meilleurs que les capitaines, et où l’on s’entend mieux à combattre qu’à gouverner et à commander. » Sur quoi, l’envoyé florentin, cherchant une explication, ajoute : « C’est peut-être parce que la discorde est naturelle aux Espagnols, nation d’esprits inquiets, pauvres et tournés aux violences : » — et la traduction adoucit le texte.

Ingouvernables dès le XVe siècle, sous Ferdinand et Isabelle, les changemens de dynastie et les changemens de régime n’ont fait que perpétuer et accroître chez les Espagnols ce penchant naturel à l’anarchie ; ingouvernables en Espagne même, ils le sont devenus bien davantage encore aux colonies. Les fils d’Espagnols et de Cubaines sont venus ensuite aggraver, dans la race mixte qui naissait avec eux. cette disposition fâcheuse, que les fils de Cubains et de Cubaines, à la deuxième génération, ont portée à l’état aigu.

L’immigration étrangère, d’autre part, ne pouvait redresser ni corriger ce vice originel : tout au contraire ; car si une nation, quelle qu’elle soit, colonise toujours par ses élémens les plus aventureux, ce sont d’autres élémens d’aventure, « des esprits plus inquiets, de plus pauvres, de plus violens encore » à l’habitude, qui s’y adjoignent du dehors. Cette immigration d’étrangers de souches et de provenances diverses ne devait aboutir et, en effet, n’a abouti qu’à augmenter considérablement le désordre ; non pas seulement par les idées ou les préjugés politiques, si hétérogènes, que les uns et les autres ont introduits dans l’île : mais, le peu d’unité qui pouvait exister avant elle, elle a contribué à le détruire. D’unité sociale au sens propre, il n’y en avait pas, et l’on a dit pourquoi, en rappelant qu’il y a vingt ans à peine que, dans le fait, l’esclavage a été aboli à Cuba. Mais, comme en toute contrée de population espagnole, il y avait du moins un lien, qui était la foi, le Credo religieux : tout ce qui était Espagnol ou issu d’Espagnol, par cela même était catholique. Avec les Allemands, les Anglais, et les Américains du Nord ont pénétré dans l’île vingt sectes protestantes, des méthodistes aux quakers ; avec les Français

  1. Guichardin, Opère inédite, Relazione di Spagna.