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devons bien nous soumettre à la dure loi des circonstances ; mais nous n’avons pas à solliciter ce que spontanément on ne nous reconnaît point… Nous ne sommes pas assez forts, sans aucun doute, pour nous imposer en la première de ces deux situations ; nous ne sommes pas, nous n’avons pas le droit d’être assez modestes, nous, les Espagnols, pour pouvoir occuper volontairement la seconde. »

L’Espagne a donc mis à se recueillir une discrétion pleine de fierté ; ne pouvant paraître en Europe au rang des plus grandes puissances, elle s’est résignée à n’y plus paraître, en attendant meilleur destin ; elle s’est abstenue, mais encore et toujours par orgueil castillan. Elle a le sentiment profond de ce qu’elle fut et, si Dieu le voulait, de ce qu’elle pourrait être. Elle se recueille, mais ne s’abandonne pas ; elle cède, puisqu’il le faut, « à la dure loi des circonstances, mais non sans espérer ni croire fermement que les circonstances changeront quelque jour ; elle se souvient trop de son passé pour s’interdire à jamais l’avenir. Elle le sait bien, qu’on ne lui fait plus sa place « parmi les grandes puissances » ; mais c’est justement parce qu’elle sait qu’elle a beaucoup perdu, qu’elle est si décidée à ne plus rien perdre. Et n’ayant plus le premier motif d’exprimer son avis dans le monde, qui est de faire partie « du grand jury européen », n’ayant plus le pouvoir de juger, il lui reste le devoir de se défendre, pour le second motif, qui est « d’avoir en jeu un intérêt immédiat, réel, visible à tous. »

Or immédiat, et réel, et visible à tous est bien l’intérêt espagnol que met en jeu l’insurrection cubaine : ici viennent peser de tout leur poids une raison géographique et une raison économique, lesquelles s’ajoutent l’une à l’autre et font, en somme, une même raison.

« Pénétrez-vous bien de ceci, me disait un des orateurs les plus écoutés des deux Chambres : que nous ne pouvons pas renoncer à Cuba ; nous ne le pouvons absolument pas, autant que l’homme peut ne pas pouvoir. Vous autres, Français, si l’une de vos vieilles colonies se détachait, vous vous consoleriez peut-être à la pensée que vous en avez de nouvelles, et l’Afrique comblerait le vide qui se creuserait pour vous en Asie ou en Amérique. Mais nous, nous n’avons pas de nouvelles colonies, et, des vieilles, qu’est-ce que nous avons encore, en comparaison de ce que nous avons eu ? Cependant, des colonies nous sont plus utiles qu’à vous-mêmes,