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mains. Mais pour l’apaiser on lui promit que la page où figurait la malencontreuse signature serait détruite. Ainsi fut fait par lettre de cachet.

L’isolement où la Dauphine était laissée contribua peut-être vers la fin de sa vie à aigrir son caractère et, en tout cas, à la fortifier dans un attachement parfaitement légitime en lui-même, mais auquel elle avait fini par donner une forme étrange. Elle avait gardé auprès d’elle une certaine demoiselle Bezzola, fille d’un médecin italien qu’elle avait amenée de Bavière, et qu’elle avait été autorisée, contrairement à tous les usages, à conserver à son service. Peu à peu elle s’était éprise pour cette fille d’une affection excessive qui tenait de la passion. Lorsqu’elle était malade, elle s’enfermait des journées entières en compagnie de Mlle Bezzola et ne voulait voir personne d’autre ; ou bien, lorsque c’était au contraire la Bezzola qui était malade, elle s’installait à son chevet et n’en voulait pas bouger. Elle demeurait ainsi invisible pendant plusieurs jours. On l’accusait de préférer le tête-à-tête avec la Bezzola à tous les devoirs et à tous les plaisirs de son état. Il fallut que le Roi intervînt à plusieurs reprises pour mettre un terme à ces singularités, et le souvenir qu’il avait gardé de cette tracasserie qui fit jaser toute la Cour fut cause de la résistance absolue qu’il opposa plus tard à ce que la future duchesse de Bourgogne conservât auprès d’elle aucune des femmes qu’elle avait amenées de Savoie. Cette Bezzola parait, au reste, avoir été une brave fille qui n’abusait point de son pouvoir sur la Dauphine, et qui ne demandait qu’à vivre obscure et tranquille.

Malgré ses bizarreries, la Dauphine était cependant personne d’esprit et passait pour telle à la Cour. « On dit, rapporte Mme Desnoyers dans ses Lettres galantes[1], qu’on pourroit faire un fort joli recueil de tout ce que cette princesse a dit de spirituel pendant le peu de temps qu’elle a vécu. » A l’appui, elle cite d’elle deux traits, dont l’un est méchant et l’autre touchant. Un jour que la Dauphine était dans son lit, la princesse de Conti, cette sœur préférée de son mari, entra sans bruit, et, la croyant assoupie, se retira en disant à mi-voix aux dames qui l’accompagnaient : « Voyez madame la Dauphine, elle est aussi laide endormie

  1. Lettres galantes, t. I, p. 481. Sans qu’il faille assurément prêter une foi absolue à toutes les histoires rapportées dans les Lettres galantes, ces lettres méritent cependant d’être lues, car beaucoup des anecdotes qu’elles racontent trouvent leur confirmation dans les Mémoires de Saint-Simon, de Dangeau ou de Sourches.