Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

matérielle, « vaine figure » de la vraie civilisation, à mesure que la société entière s’enrichit, la population se concentre, acquiert plus de mobilité, se mélange davantage, se déclasse et devient hétérogène ; dès lors les tentations augmentent, surtout dans les villes, foyers du vice, où l’on se sent d’autant plus isolé et à l’abri de l’opinion qu’on a plus d’hommes autour de soi ; les crimes et délits progressent plus rapidement que la population même ; et le progrès moral étant en retard sur le progrès scientifique et industriel, et de beaucoup, la contradiction éclate. Ces phénomènes sont généraux, mais ils se manifestent avec plus d’intensité en France ; ils y sont surtout plus apparens. Comme la France, parmi les nations, est toujours la plus pressée, la plus impatiente, comme le tempérament français est déjà le moins stable de sa nature, comme notre histoire, depuis cent ans, est la plus mouvementée, l’agitation des élémens sociaux est chez nous plus grande. La criminalité croissante a aussi des raisons d’ordre politique. L’influence des révolutions, comme celle des guerres, l’instabilité des gouvernemens ou de leurs lignes de conduite a toujours et partout produit une recrudescence de la criminalité : tout ce qui rompt les traditions séculaires, la « vie rangée », tout ce qui remet les choses en question, tout ce qui produit l’agitation, le doute, la négation et, dans l’ordre social, la destruction, se traduit à la fin dans la conscience nationale.

Dans notre démocratie, l’atmosphère morale est troublée, orageuse, fiévreuse ; c’est un état électrique perpétuel. Il était impossible que les effets ne s’en fissent pas sentir d’abord dans la conduite des enfans et jeunes gens, moins maîtres d’eux-mêmes, moins responsables et plus exposés à toutes les influences perturbatrices. Si l’état avancé de notre civilisation explique, sous certains rapports, une augmentation des délits et même des crimes, surtout dans les villes, on a vu qu’il ne suffit pas à motiver complètement notre criminalité actuelle, surtout chez les jeunes gens : que cette criminalité est excessive et anormale.

Les principales causes morales de ce fâcheux excédent sont, on l’a vu encore, l’insuffisance de l’éducation dans la famille et dans l’école, et surtout la croissante perversité de l’éducation due à une propagande qui pourrait se définir : la suggestion du vice et du crime organisée sur une vaste échelle, munie de privilèges et assurée de l’impunité. Ce sont là des causes sur lesquelles on peut, sur lesquelles on doit agir. Aux pouvoirs