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combattre, ce sont les causes de dégénérescence. Les principales sont, d’abord l’insuffisance de sélection, résultat d’un ralentissement exagéré et volontaire de la population, puis la débauche, l’alcoolisme et enfin l’extrême misère. C’est de ce côté que devrait se porter l’effort d’un parlement plus soucieux des destinées de la race. Primo vivere, deinde politicare. Au point de vue de l’hérédité et de la sélection naturelle, on ne peut songer sans inquiétude à ce que seront les enfans de nos délinquans de plus en plus nombreux, ainsi que de nos alcooliques ; et ces enfans, à leur tour, auront une postérité qui nous présentera des effets croissant en progression géométrique. Une des conséquences déjà visibles de l’augmentation de l’alcoolisme, et aussi de la débauche, c’est le chiffre des exemptions de service militaire pour inaptitude physique[1]. Alcoolisme et débauche sont les grands dépresseurs de l’organisme, par cela même de la volonté, soit chez les individus soit chez leur race, et c’est la jeunesse qui en subit les déplorables conséquences. L’élément sanguin, sanguis moderator, s’appauvrit au profit de l’élément nerveux. Et si le nervosisme est un danger pour l’individu, il est un danger bien plus grand pour une nation : il ne peut qu’augmenter encore nos défauts essentiels.

Pour ce qui concerne le libertinage, la licence des rues, des théâtres, des cafés-concerts[2], c’est une question de simple

  1. En 1831, 296 000 inscrits, 53 000 exempts, soit une proportion de 21 pour 100. En 1892, 344 000 inscrits, 109 000 exempts, soit une proportion de 32 pour 100. Les progrès de l’aliénation mentale ont été, de 1835 à 1839, 11 500 aliénés pour 36 millions d’habitans ; en 1852, 59 000 aliénés pour 38 millions d’habitans. Pour les aliénés dont l’affection est due à l’alcoolisme, la moyenne par année, de 1861 à 1865, était 300 ; en 1896, elle s’est élevée à 3 500. En Normandie, où l’alcoolisme sévit avec une intensité extraordinaire, la morto-natalité et la mortalité infantile ont augmenté de 28 pour 100 ; le nombre des conscrits ajournés ou réformés a triplé ; les mariages ont diminué d’un huitième ; la proportion des filles-mères a monté d’un quart ; la moyenne des naissances, qui était de 28 pour 1 000 habitans en 1880, est tombée à 18 en 1894 ; celle des décès, en revanche, s’est élevée de 22 à 28 pour 1000. Quatorze communes voisines de Caen comptent aujourd’hui 5028 habitans au lieu de 9200 en 1850 ; elles ont eu, pendant cette période, 95 naissances contre 171 décès, 21 mariages contre 13 filles-mères ; sur 44 conscrits, 24 ont été réformés ou ajournés, c’est-à-dire plus de la moitié. La proportion des aliénés, des criminels adultes et des jeunes criminels est telle dans le Calvados, que ce département tient, avec l’Orne et la Seine-Inférieure, le premier rang pour la folie et la criminalité dans les statistiques annuelles.
    M. Léopold Mabilleau, professeur à l’Université de Caen, remarque à ce sujet que, avant 1850, il y avait peu ou point de débits dans les campagnes ; la « funeste loi » de 1895, qui supprime les garanties exigées des débitans, a produit de rapides ravages ; la loi municipale de 1884, qui fait du maire un élu de la commune et l’affranchit à peu près de l’administration centrale, a achevé le mal.
  2. Dans son livre : Dix ans soldat ; M. Mismer a parfaitement analysé l’influence dépravante des cafés-concerts sur les esprits incultes. Aujourd’hui, des enfans des deux sexes chantent dans ces cafés les chansons que l’on sait, et qui sont une excitation à la débauche, quand elles ne sont pas une provocation à la haine ou au crime. Que devient la loi qui protège « le travail des enfans » ?