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enfans et aux jeunes gens, avant tout le reste, une sérieuse éducation morale et civique. Peut-on conférer aux individus des droits de toutes sortes, et des droits égaux, si on n’a pas soin en même temps de développer chez eux le sentiment de leurs devoirs ? Peut-on mettre des armes entre leurs mains sans leur apprendre à s’en servir ? leur donner des libertés, un pouvoir sur autrui et sur le gouvernement, sans leur enseigner l’usage de ces libertés et les limites de ce pouvoir ? Assurément l’instituteur ne peut remplacer la famille et il serait même fâcheux de le faire croire aux parens. C’est dans la famille que la première et la plus essentielle éducation doit être donnée. Joseph de Maistre disait que, vers l’âge de dix ou douze ans, l’enfant est déjà presque formé au point de vue moral, « et s’il ne l’a pas été sur les genoux de sa mère, ce sera toujours pour lui un grand malheur. » Quant à l’école, son objet véritable n’est ni l’instruction pure, ni l’éducation pure ; il est, comme on l’a dit, « l’éducation par l’instruction ». M. Marion parle quelque part de cette singulière pudeur qui retient sur nos lèvres, en France, l’expression des vérités morales. Tout ce qui sent le sermon plaît médiocrement à nos esprits, prompts à tourner en plaisanterie les choses sérieuses. On sait que le persiflage est un de nos vices nationaux. Mais quand la morale est présentée comme la science des conditions de la vie en société et quand la vie en société, à son tour, est présentée comme la condition de la vraie et pleine vie individuelle, — toutes choses démontrables par raisons, — quelle place peut rester à un sot persiflage ? Les sermons mêmes, d’ailleurs, sont excellens pour la jeunesse quand c’est au nom de la société entière qu’on parle et que, venus du cœur, ils vont au cœur.

Des ouvrages de la plus haute valeur sur la morale et l’instruction civique ont été répandus parmi les enfans ; ils ont exercé la plus heureuse influence, principalement pour relever le sentiment patriotique. Ce ne sont donc pas les bons livres qui ont manqué ; mais les éducateurs n’ont pas été assez soustraits à la préoccupation exclusive de l’instruction intellectuelle et des examens où elle tient toute la place. L’essentiel est donc de former d’abord des maîtres et de les diriger dans le vrai sens. C’est au sein des écoles normales qu’il faut tout d’abord agir ; c’est de là qu’il faut d’abord éliminer la surcharge d’études scientifiques, historiques et géographiques, pour faire une large place aux études morales et sociales. Nos instituteurs n’ont pas besoin d’être des