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ne le semble, pas, puisque de toutes parts, les partisans les plus convaincus de l’instruction, après tant de belles espérances, donnent aujourd’hui des marques de découragement.

Nous avons commis une fâcheuse erreur on attribuant les victoires des Allemands à leur instruction, quand il fallait les attribuer à leur éducation, à leur discipline morale et militaire, à leur respect de la règle, enfin à l’exaltation du sentiment patriotique qu’on avait su, par tous les moyens, enflammer chez eux et identifier avec le sentiment religieux lui-même. Sous prétexte de les imiter, notre pédagogie a versé du côté où déjà nous inclinions ; elle a poursuivi l’instruction encyclopédique de l’intelligence, nécessairement en surface plutôt qu’en profondeur. Remplir la mémoire de faits, de noms et de dates, ce n’est pas fournir à l’esprit les idées génératrices des grands sentimens et répressives de vice. L’instituteur doit former non des mémoires, mais des consciences. Notre instruction disperse au lieu de concentrer ; passant d’un sujet à l’autre, elle effleure tout ; quand elle prétend approfondir, c’est pour ne plus apercevoir qu’un seul côté des choses, sous prétexte d’y voir plus clair, comme si la réalité s’épuisait dans notre compréhension. Le développement anormal des facultés purement intellectuelles, leur direction en un sens trop particulier, enfin la demi-instruction superficielle, sont également funestes pour la jeunesse d’un peuple. L’instruction moralise quand elle est appropriée à la situation même que l’enfant, selon toute vraisemblance, occupera plus tard ; mais, si elle dégoûte d’une profession modeste pour susciter des ambitions impossibles à satisfaire, elle augmente le nombre des déclassés et des mécontens, qui deviendront les révoltés de demain. Le « déclassement général », sous toutes ses formes, d’une condition à l’autre, de la campagne aux villes, de la pauvreté à la fortune, du néant à la puissance politique, et vice versa, est précisément une des causes majeures de la criminalité, surtout juvénile. Où se recrutent la plupart des criminels et délinquans d’habitude ? M. Tarde nous l’apprend : « parmi les déclassés ». D’où viennent la plupart des récidivistes urbains ? « Ils ont émigré des champs. » Que sont les banqueroutiers frauduleux, faussaires, escrocs ? Des chercheurs d’aventure qui ont voulu s’enrichir en un jour, « non par le travail, mais par la spéculation. » Ce que certains socialistes prônent aujourd’hui sous le nom d’ « instruction intégrale » serait bien pis encore, et n’aboutirait qu’à la déséquilibration intégrale.