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d’abord, si l’école n’a pas créé la criminalité croissante de l’enfance, il faut concéder qu’elle ne la pas empêchée, tandis qu’en Angleterre elle semble avoir eu au moins ce résultat. Il y a donc chez nous une organisation défectueuse par quelque côté.

Le défaut général de notre système d’enseignement a été la prédominance de la conception intellectualiste et rationaliste, héritée du dernier siècle et qui attribue à la connaissance, surtout scientifique, un rôle exagéré dans la conduite morale. Vous dites : « Cet homme a volé parce qu’il est ignorant » ; non, il a volé parce que sa condition de déshérité, peut-être de dégénéré, lui a fourni un mobile ; et il est ignorant parce que, dans cette même condition, il n’a pas eu les moyens de s’instruire. Vous confondez simultanéité avec causalité. Maintenant, instruisez les enfans déshérités ou dégénérés ; aurez-vous trouvé par là le remède à tous les maux ? Tantôt vous obtiendrez d’heureux résultats, si la nature de l’enfant et le milieu où il vit s’y prêtent ; tantôt vous ne ferez que fournir des armes nouvelles à des penchans plus forts que les conseils du maître. Si, de plus, l’enfant déjà mal disposé par l’hérédité ou par le milieu familial découvre une sorte d’hostilité sourde entre le représentant de la morale laïque et celui de la morale religieuse, il pourra conclure à l’incertitude de toute morale, aussi bien laïque que religieuse ; et ce n’est ni la grammaire et l’orthographe, ni l’arithmétique et le calcul, ni l’histoire, ni la fameuse « géographie », qui pourront l’empêcher de mal faire. Il aura beau apprendre la règle de trois, les caps de la Hollande et les lacs de l’Amérique, l’histoire du vase de Soissons, l’assassinat de Jean sans Peur ou celui du duc de Guise, ses penchans n’en seront pas modifiés. « Si l’instruction, disait déjà Socrate, ne donne pas un esprit juste et sain, elle ne fait que rendre les hommes plus mauvais, en leur fournissant plus de moyens pour faire le mal. » — « Science sans conscience, disait Rabelais, n’est que ruine de l’âme. » Et Montaigne ajoutait : « L’affinement des esprits n’est pas leur assagissement. » La civilisation, remarque à son tour Maudsley, peut faire « des brutes plus brutes et surtout plus dangereuses qu’à l’état de nature. » Plus profondément Gœthe disait : « Est pernicieux tout ce qui libéralise nos esprits sans nous donner la maîtrise sur notre caractère. » Eh bien, il faut convenir que nous avons beaucoup « libéralisé » les esprits, même chez les enfans, mais avons-nous cherché à leur procurer la maîtrise dont parle Gœthe ? Il