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éludant le code, de débarrasser les mères de leurs jeunes enfans mis en nourrice moyennant une somme payable au décès ? Dans toutes les nations, sous des formes différentes et à des degrés différens, les mêmes symptômes rendent visible le danger que court la moralité publique. Mais il faut rendre à l’Angleterre cette justice qu’elle lutte avec énergie ; qu’elle veille sur les mœurs avec le même soin qu’elle met à protéger les droits : qu’elle a toujours maintenu la profonde différence qui existe entre liberté et licence, et toujours compris que licence c’est tyrannie. En France, nous ne payons donc pas seulement la rançon d’une civilisation croissante ; nous subissons aussi l’effet d’autres influences, contre lesquelles nous ne voulons pas lutter. « Un peuple, a dit M. Lacassagne, a la criminalité qu’il mérite. »

En somme, progrès implique variabilité, mais variabilité n’implique pas nécessairement ni toujours immoralité, surtout chez les jeunes[1]. Nous devons donc chercher, pour notre criminalité juvénile, des causes plus spéciales et des remèdes appropriés.


III

D’après la statistique, la courbe du crime atteint son point culminant de vingt et un ans à trente ans ; elle s’abaisse un peu de trente à quarante et tombe rapidement de quarante à cinquante ans. C’est donc bien la jeunesse qui est ici l’âge critique, et c’est d’une bonne direction première que tout dépend. On a défini les enfans « de petits sauvages » et aussi « de petits délinquans », volontiers menteurs, cruels et égoïstes ; on a dit que l’enfant reproduit dans son développement les phases de l’espèce humaine, qu’il va de la barbarie à la civilisation. Ce qui est certain, c’est que les instincts mauvais et même criminels sont fréquens chez les enfans. Tolstoï lui-même dit dans ses Confessions : « Quand je me souviens de mon adolescence, je comprends très bien les crimes les plus atroces commis sans but, sans intention de nuire, coin nie ça, par curiosité, par besoin inconscient d’action. » Mais une bonne éducation vient presque toujours à bout des mauvais instincts et même, chez le grand nombre, avec assez de facilité ; les bons sentimens acquis à cet âge deviennent vite

  1. M. Durkheim lui-même déclare tout le premier « lamentable » et disproportionné le taux de la criminalité en France.