Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

milieu d’un péristyle appliqué contre la façade, puis de deux autres latéraux, d’ordre inférieur ; une rotonde couronne cet ensemble non sans l’alourdir. Les ailes, avancées jusqu’à la pièce d’eau pour embrasser une cour en fer à cheval s’achèvent elles-mêmes sur deux péristyles ; et c’est une chose qui surprend de retrouver partout cette décoration simple adaptée sur ce plan qui ne l’est pas.

C’est que cet art néo-grec n’est grec qu’en apparence, et dans le fond il est russe. Une raison matérielle a fait avorter cette renaissance de l’architecture antique : l’emploi de la brique, laquelle, peu solide, se refuse aux formes élancées. Puis un peuple accepte difficilement l’héritage intellectuel d’un autre peuple ; il a sa manière de sentir et de voir, qu’il ne lui appartient pas de modifier. Ici, la fabrique extérieure est seule empruntée à la tradition classique ; l’architecte, en construisant sur des abaques étalés et diffus, s’est affranchi de la règle ancienne qui veut un balancement harmonique de la dimension horizontale avec la verticale. Les Grecs avaient naturellement inventé ce rapport de l’élévation à la base ; leurs temples étant construits pour se détacher sur le ciel devaient, par la justesse de leurs proportions, répondre à la constance et à la pureté du fond coloré. Les Chinois, attentifs à la vie concrète et patiens imitateurs de toute forme naturelle, s’inspirent des contours arrondis des montagnes et des formes dentelées des nuages ; leur architecture où domine la ligne courbe, leurs toits en pointe de sabot, rappellent cette vision sinueuse qu’ils ont des paysages. Ainsi, consciemment ou non, l’esprit suit toujours un conseil de la nature. Or, quelles suggestions plastiques attendre ici d’une terre informe et quel rêve linéaire évoqueraient la steppe couverte de neige, la forêt vaste, le morne et continu champ de blé ? Perdu dans un site sans contour, le Russe ne voit qu’une ligne et la voit partout : il a la hantise de la ligne d’horizon. C’est pourquoi le propre de son esprit est de se répandre, non de s’élancer ; et c’est pourquoi, construisant sans songer à la conciliation apparente des formes, il juxtapose plutôt qu’il ne compose.

La vieille église attenant au palais, l’église de la Sainte-Trinité, appartient aussi à ce style amorphe. Monument d’avant Pierre, rare témoin d’une époque où l’on employait trop souvent le bois, elle date de ce règne d’Alexis Mikhaïlovitch où l’art national prit à la fois son essor et marqua son apogée, suspendu