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Données à ses officiers, de considérer comme nulle toute demande de troupes émanant d’un fonctionnaire civil, judiciaire, politique, — ce qui impliquait la négation directe du droit de réquisition du président de l’Assemblée. Le ministre de la guerre sollicita un ajournement de la discussion. Changarnier, son subordonné, monte à la tribune, et, tranchant de son autorité privée le doute sur lequel son supérieur demandait à réfléchir, il répond : « Aucune de ces instructions ne met en question le droit constitutionnel de l’Assemblée de requérir les troupes, non plus que l’article du règlement qui défère à M. le président de l’Assemblée l’exercice de ce droit. Elles se bornent à prendre les précautions nécessaires pour l’exacte transmission des ordres, et pour l’unité du commandement durant le combat. »

À ces mots accentués avec énergie, comme une menace directe au Président de la République, l’applaudissement de l’Assemblée éclate frénétique. On crut que l’assaut commençait. Persigny et Morny, sans s’être concertés, courent en même temps à l’Elysée, exhortent le Prince à se mettre sur ses gardes et à prévenir les chefs de corps sur lesquels il compte. Personne ne se montra ; Changarnier avait menacé, sans être en mesure de frapper. Le Prince, qui n’avait pas menacé, frappe. Il décide la destitution de Changarnier.

Au premier mot de révocation, le ministre de la guerre Schramm pâlit et offre sa démission ; ses collègues effarés l’imitent. Toucher à un tel homme, mais ce serait ébranler l’ordre social dont il est la sauvegarde, ils n’assumeront pas cette responsabilité. Cependant ils se ravisent et reprennent leurs portefeuilles, espérant qu’aucun général ne consentira à signer la mesure fatale. On met la main sur un qui s’y décide, le maréchal Regnaud de Saint-Jean-d’Angély. Alors les ministres déçus et de nouveau saisis d’épouvante renouvellent leur démission. Qui choisir pour les remplacer ? Billault lui-même, quoique acquis au Président, se récuse.

Ces péripéties n’avaient pu être cachées. Les groupes politiques siègent en permanence, l’agitation gagne la rue ; le mot de guerre civile circule. Le Président imperturbable observe. Le désarroi universel le tire cependant de son immobilité ; il sort l’épée à moitié hors du fourreau. La veille, il réprimandait Persigny d’avoir dit à Molé et Thiers : « Après tout je n’ai à perdre, moi, ni hôtel à Paris, ni château en province. » Il annonce que ce