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n’est pas de savoir qui gouvernera la France en 1852, c’est d’employer le temps dont je dispose, de manière que la transition, quelle qu’elle soit, se fasse sans agitation et sans trouble. Le but le plus digne d’une âme élevée, quand on est au pouvoir, ce n’est point de rechercher par quels expédiens on s’y perpétuera, mais de veiller aux moyens de consolider, à l’avantage de tous, les principes d’autorité et de morale, qui défient les passions des hommes et l’instabilité des lois. »

« Voilà, s’écrie Lamartine, le langage qu’un Washington n’eût pas désavoué, et si, comme nous n’en doutons pas, un Bonaparte suit invariablement cette ligne de droiture, de bon sens et de désintéressement, il aura dans un seul nom la gloire de deux. » L’immense majorité de la nation pense, sent, parle comme Lamartine. Les politiques de l’Assemblée ne renoncent pas néanmoins à leur invariable tactique : le Prince est-il ferme, ils l’appellent séditieux ; se montre-t-il modéré, ils le traitent de poltron. Quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse, il ment. Ce message est considéré comme une manœuvre traîtresse ; on n’en doit retenir qu’une parole parce qu’elle contient une menace : « Je dispose seul de l’armée. » A l’Hôtel de Ville, dans un banquet, il répudie « les spéculations de la force et du hasard », c’est-à-dire le coup d’Etat. On ne s’y arrête pas. Mais il ajoute : « Les gouvernemens qui, après de longs troubles civils, sont parvenus à rétablir le pouvoir et la liberté, et à prévenir des bouleversemens nouveaux, ont, tout en domptant l’esprit révolutionnaire, puisé leur force dans le droit né de la révolution même. Ceux-là, au contraire, ont été impuissans, qui sont allés chercher ce droit dans la contre-révolution. — Cette observation profonde, confirmée par l’histoire de toutes les révolutions, scandalise. Encore une menace ! dit-on.

A la réception du 1er janvier 1851, le Prince échange quelques propos aigres-doux avec le président Dupin, salue sèchement Changarnier et ne lui tend pas la main. La tension était arrivée à ce terme extrême où la crise devient inévitable. Il fallait que l’Assemblée envoyât le Président à Vincennes, ou que le Président chassât Changarnier des Tuileries. — « Il n’osera pas », disaient les conspirateurs pour s’enhardir à plus d’audace. En conséquence ce fut le général qui osa. Le prince Jérôme Napoléon lui en fournit l’occasion. Dans une intention peu bienveillante pour son cousin, il avait interpellé le ministre de la guerre sur des instructions que, plusieurs mois auparavant. Changarnier aurait