Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Burgraves. Ils redoutèrent de ne pas disposer de l’Assemblée sans le concours des ministres et de leur chef ; ils déléguèrent Chasseloup-Laubat et Faucher à Baroche, pour obtenir que le gouvernement prît à son compte et présentât lui-même le projet préparé. Après avoir consulté le Président et ses collègues, Baroche répondit que, dès que la loi ne s’appliquerait qu’aux élections législatives, le ministère consentait à l’adopter, en préférant néanmoins que l’initiative en fût prise par les Burgraves. Ceux-ci craignirent alors que le gouvernement ne les lâchât après les avoir compromis et ils répondirent : « Si vous ne prenez pas l’initiative nous ne ferons rien. » À quoi Baroche répliqua : « Puisque vous ne déguisez pas votre crainte d’être lâchés, vous ne sauriez être blessés que le gouvernement ressente la même crainte. » On chercha donc le moyen de se compromettre et de s’engager réciproquement. On s’arrangea ainsi : le gouvernement, par décret inséré au Journal officiel, chargeâtes Burgraves, comme membres d’une commission extra-parlementaire, de préparer une réforme électorale. En deux ou trois jours, rapidité qui surprit, le projet, sur lequel on était d’accord, fut achevé et déposé.

Par cette concession le Prince avait espéré que les Burgraves rendus plus maniables ne lui refuseraient pas la révision, et écarteraient de son horizon cette perspective de coup d’État dont on l’obsédait.

Le fanatisme du suffrage universel ne vaut pas mieux que tout autre fanatisme. Tout citoyen parvenu à l’âge de la pleine majorité, non déclaré indigne, indépendamment de toute exigence de fortune et d’instruction, possède le droit inaliénable de participer aux affaires de son pays, à l’établissement de sa constitution, et de ne payer l’impôt qu’après l’avoir consenti. La Révolution de 1789 n’a pas inventé cette règle qu’avait respectée Guillaume le Conquérant[1] et formulée Philippe de Commynes[2] ; elle l’a restaurée. Mais de ce que tout citoyen a droit à un vote il ne s’ensuit pas que les votes de chacun aient le même poids, que la même part dans la souveraineté soit due au manœuvre alcoolisé et au penseur, au savant, à l’artiste, à l’homme d’État, gloires de la nation, à l’industriel, au commerçant ; créateurs de sa richesse, et que le jeune homme à peine émancipé de l’école ou de l’apprentissage compte autant que le père de famille mûri par les années

  1. Aug. Thierry, Conquête de l’Angleterre, t. I, p. 304.
  2. Commynes, I. V, ch. XIX ; 1. VI, ch. VII.