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nous avons. Eh bien ! il s’agit simplement de savoir si l’on veut une continuation de ce régime, un peu plus longue que la Constitution ne le permet. Les partis sont-ils disposés à ce sacrifice ? Si on dit non, la question est résolue. Je comprends ce qu’il y a d’honorable dans la persistance fidèle des partis ; mais alors, quand on écarte les grands moyens, il ne faut plus traiter dédaigneusement les secondaires ni faire ressortir leur insuffisance sauf à nous y ramener quand on en indique de plus énergiques. »

La réunion écartant la solution décisive, on résolut de s’en tenir à l’expédient d’une loi électorale dont le dépôt serait le premier acte du comité directeur créé en opposition du ministère du Président.

Thiers, entrant dans cet ordre d’idées, dit : « On a parlé d’une loi électorale. Eh bien, je demande encore sur ce point à quels sacrifices les partis sont-ils disposés, où s’arrêtera leur susceptibilité constitutionnelle ? On ne peut rien faire d’efficace en restant dans l’esprit et dans la lettre de la Constitution, mais on peut, en exigeant que le domicile soit prouvé par l’inscription au rôle des contributions directes, éliminer plusieurs millions d’électeurs des plus dangereux : ce ne sera pas le rétablissement d’un cens, car un cens implique l’idée d’une somme déterminée. La légalité d’une telle mesure est soutenable ; si on viole un peu l’esprit de la Constitution, on ne le fait pas trop sentir. Avec de l’aplomb, beaucoup d’aplomb, on peut soutenir qu’il ne s’agit pas de changer les conditions de l’électorat, mais d’en constater l’existence. »

La réunion approuva et Thiers se chargea de préparer une loi qui subordonnerait le droit électoral à trois ans de domicile, et n’admettrait, comme preuve de ce domicile que, l’inscription au rôle des contributions directes. En apportant son projet, il estima à trois millions le nombre des électeurs exclus. « Anzin, dit-il en riant, n’aura pas à se plaindre ; sur onze mille électeurs, je ne lui en retranche que neuf. »


V

Le projet arrêté, au moment de le déposer comme une proposition de l’initiative parlementaire et de constituer ainsi, selon la fière proposition de Berryer, à côté du gouvernement de l’Elysée un gouvernement tiré de l’Assemblée, l’audace manqua aux