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y recourir.[1] » Je lui fis observer que je me bornais à analyser le sujet. Quoi qu’il en soit, le Président ne s’est pas engagé alors à s’unir à la majorité pour réviser la Constitution. Mais enfin il est permis de supposer qu’il a comme les partis son hypocrisie, et que si, nous mettant en rapport avec M. de Persigny, nous lui disions : « Que le Président adresse à l’Assemblée un nouveau message : » il déclarera qu’il s’est trompé, qu’il attribuait aux hommes ce qu’il reconnaît être aujourd’hui la faute des institutions, qu’il considère la modification immédiate de ces institutions comme indispensable au salut de la société, qu’il demande à l’Assemblée de s’unir à lui pour accomplir cette œuvre nécessaire, que, si le concours du pouvoir législatif lui est refusé, il se démettra de ses fonctions et résignera un pouvoir qui ne lui permet pas de faire le bien. Si nous lui tenions ce langage et lui promettions l’adhésion de la majorité, à moins que Louis Bonaparte soit un poltron, il est probable que son langage aussi changerait. L’Assemblée et le Président unis entraîneraient l’opinion publique et l’armée. On aurait peut-être la bataille, mais la victoire est certaine. Je vais plus loin, je suis convaincu que s’il s’est présenté telle occasion où le Président pouvait risquer cette démarche sans s’être assuré l’assentiment de la majorité, il aurait été suivi bon gré mal gré. Mais on ne peut le pousser dans cette voie sans lui donner l’assurance qu’il sera soutenu par le pouvoir législatif. Eh bien ! voilà ce que j’appelle le moyen décisif. Veut-on l’employer ? Les partis sont-ils capables de cet acte de courage et d’abnégation ? Penseront-ils aux périls de la société et ne seront-ils pas arrêtés par leurs affections et leurs espérances ? Je pose la question. Nous sommes en face de l’histoire. Les circonstances sont des plus solennelles. Il faut nous dire une bonne fois ce que nous avons sur le cœur. »

Berryer et Vatimesnil semblaient très contrariés de la tournure que prenait ce discours. Ils avaient donné plusieurs fois, ainsi que Jules de Lasteyrie, des marques de mécontentement, disant à demi-voix : « Ce n’est pas de cela qu’il s’agit ; nous ne sommes pas venus ici pour nous tâter. » — Quand Thiers eut cessé de parler, Berryer dit d’un ton qui exprimait à la fois la contrariété et l’embarras : — « Permettez, il est difficile de répondre.

  1. Thiers a reproduit publiquement la même assertion dans son discours du 10 janvier 1851 : « M. le président de la République n’avait pensé « autre chose qu’à des moyens légaux. »