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Bourse baissa de deux francs, les étrangers quittèrent précipitamment Paris. Ce qu’on voyait s’avancer avec une effroyable assurance, ce n’était pas une émeute mal préparée et dont Changarnier viendrait à bout, c’était le socialisme légal, s’emparant des pouvoirs publics, s’infiltrant dans les lois et défaisant régulièrement la société avec l’aide du gendarme.

Le Président, ce Président tant dédaigné, parut alors le seul refuge. Il ne cessait d’être l’objet des empressemens du peuple ; u chaque revue, les soldats continuaient à lui jeter comme salut ; l’Ave Cæsar. Lui ne modifiait ni son langage ni son attitude ; il maintenait sa volonté « de ne pas sortir du sentier étroit tracé par la Constitution et de travailler, avec tous les hommes de cœur et d’intelligence, à consolider quelque chose de plus grand qu’une Charte, de plus durable qu’une dynastie[1]. »

Dans la panique qui sévissait, sur bien des lèvres habituées à déclamer contre le coup d’Etat le silence se fit, et nombre de celles qui le dénonçaient le conseillèrent. Les missives, les adresses, les adjurations orales arrivaient à l’Elysée. « Ne vous défendez plus de méditer un coup d’Etat. Accordez à ceux qui l’annoncent la satisfaction d’avoir été bons prophètes. Faites-en un. Nous ne vous avons pas nommé pour que vous montriez de la vertu à nos dépens, mais pour que vous nous délivriez. « La nation vous a choisi pour tout oser ; ce qu’elle attend de vous, c’est de l’audace et non de la prudence[2]. » « Est-ce quand le navire sera coulé à fond que vous arracherez le gouvernail aux mains incapables qui ne savent pas le tenir ?

Et lui, impassible, répondait avec douceur : « Non, je n’aurai pas recours à des moyens illégaux, je ne sortirai pas du sentier étroit que m’a tracé la Constitution. — Vous trouvez mon ministre de l’intérieur F. Barrot insuffisant, je le remplace par Baroche, qui vient de faire ses preuves comme procureur général devant la Haute Cour. — Vous estimez la licence de la presse excessive, j’essaierai de la mater en rétablissant le timbre et en doublant le cautionnement. — Les réunions électorales vous inquiètent, je les fermerai. — Les maires n’obéissent pas, je les suspendrai. — La loi électorale vous semble défectueuse, j’essaierai de l’amender. — La constitution appelle une réforme

  1. Discours au banquet de l’Hôtel de Ville, 10 décembre 1849.
  2. Tocqueville, Souvenirs, p. 315.