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retentissaient les provocations ministérielles : « Nous serons prêts à toute heure, disait d’Hautpoul ; vous pouvez commencer demain si vous le voulez. » La police, dirigée par un ennemi acharné de l’ordre républicain, sans tact et sans scrupule, Cartier, paraissait s’être donné pour tâche d’exaspérer les moins hostiles. Le peuple tenait aux arbres de la Liberté récemment plantés, il les fit couper ; l’anniversaire du 24 février était une de ses fêtes, il l’interdit. Il multiplia les visites domiciliaires, les perquisitions, les arrestations arbitraires suivies de longues détentions préventives dans les cellules horribles de Mazas. Jusque-là l’hostilité des républicains n’était pas justifiée, elle le devint. Ceux qui, comme l’honnête Peauger, avaient cru aux paroles du prisonnier de Ham, s’éloignèrent tristement ; et ceux qui eussent été tentés de se rapprocher s’applaudirent de ne s’y être pas décidés.

Les résultats de cette politique de contre-bon sens ne tardèrent pas à se montrer. À la suite des condamnations prononcées par la Haute Cour contre les députés compromis le 13 juin, trente élections complémentaires eurent lieu à Paris et dans les départemens. Bien que la campagne fût dirigée par les radicaux socialistes, les républicains de raison pressèrent Carnot, un des plus honorables d’entre eux, de se laisser inscrire sur la liste à côté de Vidal et De Flotte. Il serait la protestation contre le cléricalisme de la loi d’enseignement en faveur de l’instruction laïque, gratuite, obligatoire ; Vidal était l’affirmation du socialisme ; De Flotte, ancien transporté, réhabilitait les journées de Juin. Cette liste l’emporta à l’énorme majorité de 130 000 voix en moyenne (10 mars 1850). En province, grâce à la même coalition, dix-huit radicaux socialistes furent nommés. Vidal, élu deux fois, ayant opté pour un département, Paris renouvela et accentua sa manifestation par la nomination d’Eugène Sue, l’aristocratique romancier converti au socialisme (28 avril). Les départemens ne se démentirent pas non plus, six socialistes l’emportèrent dans Saône-et-Loire, le département de Lamartine. « Ce qui s’est fait, pendant quinze mois, contre la république, contre la révolution, écrit Proudhon, est déclaré par ce vote nul et non avenu. Il faut que le pouvoir, à peine de rébellion envers le peuple et de tyrannie, non seulement change de système, mais se mette, toute affaire cessante, à réparer le mal. »

Les conservateurs qui se croyaient hors de péril se réveillèrent en sursaut. Un frisson de terreur parcourut la France, la