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des Mémoires du duc de Saint-Simon. Le célèbre président Lasagni vint à la Chancellerie pour lui demander s’il ne revendiquerait pas pour l’État cette propriété. « Quel intérêt peut avoir l’État, répondit Rouher, à posséder les Mémoires de ce fou de socialiste ? »

Les nouveaux ministres, plus dociles que leurs devanciers à servir l’ambition du Prince, ne partageaient pas plus qu’eux ses idées, et ne les soupçonnaient même pas ; leurs véritables opinions étaient celles de Thiers ou de Guizot. Sur la plupart des sujets, le Prince se fût beaucoup mieux entendu avec le premier républicain venu. Toutefois satisfait d’avoir trouvé la docilité, il ne s’inquiéta pas des opinions. D’ailleurs ne voulant pas se fermer, par une rupture irrémédiable, l’issue de la révision constitutionnelle, ni laisser à ses ministres congédiés un recours contre lui, il lui convenait de s’entourer de conseillers que la majorité savait animés de ses passions, de ses rancunes et de ses craintes.

Cette arrière-pensée entraîna l’exclusion bien regrettable de Victor Hugo. Le poète avait-il demandé un portefeuille ? Le lui avait-on promis ? Cela importe peu. Le certain est qu’il le désirait de la même ardeur que sous Louis-Philippe il avait recherché la pairie. Considérons comme heureux que des hommes doués d’une telle puissance de génie daignent parfois être ambitieux. Personne n’avait plus que Victor Hugo le droit de l’être sous un Napoléon. Qui avait exalté dans des chants plus sublimes les gloires et les malheurs du grand homme ? Qui avait demandé plus chaudement le rappel des lois d’exil contre les Napoléon ? Qui avait plus noblement défendu et adopté la candidature du Prince ? Qui méritait mieux d’écrire son nom au-dessous de celui d’un Napoléon ? Le Président sentait ce devoir de gratitude. Il comprenait le danger de laisser faire antichambre à une telle ambition, car il savait combien sont longues et retentissantes les vengeances des poètes, combien il en a coûté aux Bourbons d’avoir congédié Chateaubriand et à Louis-Philippe d’avoir dédaigné Lamartine. Aussi avait-il le ferme propos d’appeler dans ses conseils le rapsode de l’épopée napoléonienne. Malheureusement Victor Hugo rendit sa bonne volonté impuissante. Après avoir siégé longtemps sur les bancs de la majorité, voté avec elle l’état de siège, refusé l’amnistie aux insurgés de Juin, il venait de s’en séparer à l’occasion d’un effet oratoire manqué.

On discutait une proposition très large d’assistance légale en