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situation commence à n’y être pas meilleure. Lorsque M. Rességuier avait à se plaindre d’un ou de deux ouvriers, il se permettait de les congédier, ce qui provoquait une grande indignation, suivie aussitôt d’une grève. À Albi, un de ces derniers jours, quatre ouvriers à la fois ont été renvoyés par les administrateurs de l’usine, pour des fautes vénielles à côté de celles qui avaient amené autrefois les sévérités de M. Rességuier. L’un d’eux s’était borné à dire que le conseil d’administration coûtait trop cher ; on l’a entendu, il a été mis à la porte. Il a dû être bien surpris, et l’a été en effet. Les trois camarades frappés avec lui ne l’ont pas été moins. Ils croyaient être chez eux à Albi ; ils croyaient être les maîtres, et ils trouvent des maîtres infiniment plus durs et plus impitoyables que ne l’était M. Rességuier. Rien n’est plus naturel, d’ailleurs. Dans une entreprise dirigée par les ouvriers eux-mêmes, la règle doit être plus absolue et la discipline plus fermement imposée que dans toute autre. Si les ouvriers d’Albi ont espéré échapper à la loi rigoureuse à laquelle sont soumis leurs camarades de Carmaux, ils se sont trompés. Leurs yeux aujourd’hui commencent à se dessiller et leurs langues à se délier. Ils se plaignent et s’indignent. Ils ont de la peine à comprendre que les conditions du travail sont partout les mêmes. Ils se demandent ce qu’ils ont gagné à changer de patrons, c’est-à-dire à choisir quelques-uns d’entre eux pour en jouer le rôle. Par une amère ironie du sort, un des administrateurs qui viennent de se montrer inflexibles envers les quatre ouvriers congédiés n’est autre que Baudot, ce même Baudot qui avait été puni par M. Rességuier, non sans motif légitime, et dont la punition a été la cause première de la grève qui a imposé tant de souffrances aux malheureux ouvriers de Carmaux. À Albi comme à Carmaux se poursuit la plus intéressante des expériences. Laissons s’écouler quelques mois. M. Jaurès, qui ne peut déjà plus aller à Carmaux, peut encore aller à Albi ; il y est même très bien accueilli ; c’est là qu’il aime à chanter la Carmagnole ; les ouvriers albigeois se rendent à Carmaux pour l’escorter et le protéger lorsqu’il y va lui-même. Bientôt peut-être, Albi lui sera également fermé, et ce sera le tour de M. Deschanel d’aller y faire une éloquente conférence. Qui aurait cru l’année dernière que M. Deschanel pourrait prononcer un discours à Carmaux et qu’il y serait acclamé ? Les années se suivent et ne se ressemblent pas.

Voilà pourquoi nous avons cru pouvoir dire que les affaires du socialisme n’étaient pas en hausse depuis quelque temps. M. Doumer, qui a de la finesse, s’en est-il aperçu ? A-t-il compris que le bon, ou du moins le meilleur moment était passé pour lui, et qu’il avait cueilli