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finirait par s’y laisser prendre comme il l’a fait lui-même ; mais il ne semble pas que cette conversion soit encore sur le point de s’accomplir. M. Deschanel aime à dire du mal des économistes ; c’est sans doute cette faiblesse de sa part qui a donné des espérances à ses adversaires. Quoi qu’il en soit, c’est à Carmaux même, le siège électoral de M. Jaurès, une des capitales du socialisme et la plus turbulente de toutes, que M. Deschanel est allé se faire entendre dimanche dernier, et il y avait dans la hardiesse de cette démarche quelque chose de particulièrement propre à agir sur les imaginations. M. Deschanel a eu beaucoup de succès, là où M. Jaurès avait été si mal reçu quelques jours auparavant.

Nous ne jugeons pas des progrès ou des reculs de l’idée socialiste d’après les mésaventures personnelles de M. Jaurès : s’il n’est pas réélu à Carmaux aux élections prochaines, il le sera probablement ailleurs et son parti ne sera privé, ni de son action, ni de sa parole. Il n’en est pas moins vrai que ce qui se passe à Carmaux, et même à Albi, est une leçon de choses des plus significatives, sur laquelle il est permis de philosopher. Voilà une petite ville industrielle, une ville d’ouvriers, où les socialistes ont plus que partout ailleurs multiplié les promesses. Ils y ont fomenté des grèves orageuses. Ils s’y sont rendus de leurs personnes avec tout l’état-major du parti. Ils y ont fait des manifestations de tous les genres, comme s’ils l’avaient choisie pour le champ le plus favorable à leurs expériences. Tous les yeux se sont tournés vers Carmaux, et ne s’en sont pas détachés depuis. Les grandes batailles de M. Jaurès contre M. Rességuier ont encombré de leurs bulletins les journaux, le Parlement, les tribunaux. A diverses reprises, le sang a failli couler, et il a fallu toute la fermeté du gouvernement pour prévenir de grands malheurs. Quel a été le résultat de cette formidable agitation ? C’est qu’aujourd’hui M. Jaurès et ses amis ne peuvent plus mettre les pieds à Carmaux. Après avoir supporté longtemps les plus dures épreuves, les ouvriers se sont aperçus qu’on les avait trompés. On dira peut-être qu’une circonstance particulière a jeté le trouble dans leurs esprits. Au milieu de la fièvre d’espérances qui s’en était emparée, une généreuse bienfaitrice avait donné aux ouvriers carmausins une somme de 100 000 francs, qui a servi à fonder une usine rivale à Albi. Nous ne reviendrons pas sur les détails d’une histoire aussi connue. Ce détournement de fonds devait produire à Carmaux une irritation bien légitime ; elle n’est pas encore calmée, et ne le sera probablement pas de sitôt ; et c’est par là qu’on y explique l’état de choses actuel. Soit ! Tournons-nous du côté d’Albi ; la