Les Chambres se sont séparées sans avoir voté le budget, ce qui, d’après la manière dont la discussion a été conduite, n’a surpris personne. On était d’avance résigné aux douzièmes provisoires, comme à une obligation qu’on avait laissée devenir inévitable. L’excuse de la Chambre des députés est qu’elle a voulu ménager et respecter certaines convenances du côté du Sénat : on sait que, le 3 janvier, doit avoir lieu le renouvellement partiel de la haute assemblée. C’est maintenant, par suite de la réduction graduelle des inamovibles, près du tiers des sénateurs qui est rééligible, et plusieurs d’entre eux étaient impatiens de se rendre dans leurs départemens électoraux. Mais peut-être un certain nombre de députés ont-ils aussi songé à eux-mêmes, car leur émigration vers le Sénat est un mouvement qui s’accentue de plus en plus, et beaucoup ont des candidatures personnelles à soutenir.
Il serait téméraire d’essayer de prévoir ce que sera le renouvellement sénatorial. On a émis beaucoup de prévisions à ce sujet, on a fait beaucoup de prophéties. La vérité est qu’on ne sait rien, et que les dernières manifestations électorales ne nous ont donné que des lumières incertaines. Aucun grand courant n’emporte aujourd’hui le pays. Il y a plutôt de l’hésitation et de la lassitude. La lecture même des journaux n’apporte que fort peu d’indications, et c’est même une chose singulière, un symptôme remarquable et, en somme, inquiétant, que ce silence presque général à la veille d’une épreuve électorale à laquelle tout le monde attache théoriquement une grande importance. Comment nier cette importance ? Le Sénat, qui nous a sauvés du boulangisme il y a quelques années, a contribué pour une très large part, nous n’osons pas dire à vaincre le danger radical et socialiste, mais au moins à l’éloigner pour quelque temps. Dans la lutte engagée contre le ministère Bourgeois-Doumer, il a joué le rôle principal. Aussi a-t-il soulevé contre lui des colères violentes. Mais ces colères qui, sur le moment, ont flambé avec rage, n’ont pas fait feu