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contre ce niais suffisant. Ce qui est excellent dans la pièce de M. Brieux, c’est le cadre, c’est la partie satirique. Je ne dis pas que cela vaille du Molière, attendu que je n’en sais rien ; mais je crois que c’est la plus franche et la plus vivante satire qu’on ait faite de la médecine et des médecins, depuis Molière.

Le docteur Bertry est un type vrai et bien d’aujourd’hui. Il représente avec plénitude le snobisme scientifique, une sorte de déplacement du sentiment religieux en haine des religions même ; la foi imperturbable à certains mots et à certaines formules, le prosternement devant l’Expérimentation, l’Investigation, les « Méthodes modernes », et autres entités impressionnantes ; l’acceptation fervente de toute théorie par où l’explication matérialiste du monde semble pouvoir être confirmée ; l’illusion obstinée que ce qui constate, tant bien que mal, le « comment », rend compte par là même du « pourquoi » ; bref, l’espèce de griserie intolérante et brutale que donne la Science à des cerveaux anti-critiques. Crédule, assuré, pompeux, — très malin aussi, et réclamier, et avide d’honneurs et de places, Bertry, c’est Homais « grand médecin ». Bien jolie encore, la silhouette de ce petit farceur de La Belleuse, le docteur — Scapin, fringant, intrigant, galant, glissant, effronté, qui calme les scrupules distingués de ses maîtresses en recommandant aux maris l’abstention conjugale, et met ses « ordonnances » au service de ses intérêts de cœur. Satire opportune, s’il est vrai qu’une des espèces d’hommes les plus dominantes et triomphantes de ce temps-ci et les mieux représentatives de son intellectualité moyenne, ce soit en effet le médecin, et que le cher docteur ait remplacé, auprès des familles, le prêtre et le directeur spirituel, dans la mesure où la religion se retirait des mœurs de la bourgeoisie. Satire équitable enfin : car, à côté de Bertry et de La Belleuse, M. Brieux a mis le bon médecin traditionnel ; et il plaint Bertry autant qu’il le raille ; il lui laisse quelques-unes des vertus de sa profession ; il lui prête une belle fermeté à cacher la maladie de cœur dont il sait qu’il mourra, à s’arranger du moins pour mourir debout, et, finalement, — devant Jean et Lucienne que cela rassure tout à coup (je ne sais pas pourquoi : car, de ce qu’une maladie de cœur est incurable, il ne s’ensuit pas nécessairement que les maladies morales ne sont pas héréditaires), — un très généreux et méritoire aveu de son ignorance.

Oserai-je regretter ici l’absence d’une figure de médecin : le médecin dilettante, celui qui abuse de son immense pouvoir, moins encore pour en tirer profit que par une curiosité perverse ? Être le confesseur, non seulement de l’âme, mais du corps ; voir devant soi les