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savates aux bottes en fin cuir rouge et aux babouches jaunes des femmes. Les caftans, les belles robes finement brodées, les dissas frangées, qui se jettent sur l’épaule comme la cape du toréador, furent remplacées par des loques, par des vêtemens étriqués et malpropres, et les hautes cannes agrémentées de cuivre ou de fer gravé par de simples bâtons de bois blanc. Pour ne pas induire le voleur en tentation, on s’interdisait tous les plaisirs de vanité.

Tel était l’état de Tombouctou quand la France en a pris possession : cité déchue, elle avait encore de beaux restes, que par mesure de sûreté elle s’étudiait soigneusement à cacher. On s’explique que nous ayons pu la prendre sans coup férir, que ses habitans nous aient dit : « Nous sommes des femmes, nous ne nous battons pas. » A vrai dire, ils nous ont accueillis sans enthousiasme ; accoutumés à changer de maîtres, ils attendaient pour se réjouir de savoir qui nous étions ; il leur était arrivé plus d’une fois de tomber de fièvre en chaud mal. Quand le commandant français les mit en demeure de signer avec lui un traité et de reconnaître notre protectorat, personne n’osa donner sa signature ; qu’en dirait le Touareg ? On ne le voyait plus, mais on croyait le voir. M. Boiteux brusqua la conclusion ; il lança dans le marigot de Kabara deux chalands armés de canons-revolvers, empruntés aux canonnières. Son audace eut un effet décisif, et il put se dispenser de faire parler ses canons. Les notables et les marabouts, assemblés dans la mosquée, lui envoyèrent dire : « Nous demandons la paix : nous ferons tout ce que tu voudras ; nous sommes désormais avec vous. » C’est ainsi que Tombouctou, située à plus de 1 000 kilomètres de la mer, fut prise par des marins, et que sept Européens et douze noirs sénégalais amenèrent à composition une ville de 8 000 habitans. Rassurés par deux grands forts qui ont remplacé les fortins improvisés et dont les canons battent aujourd’hui de tous côtés les chemins par où peuvent venir les brigands du désert, les Tombouctiens ont repris cœur. On commence à réparer et à rebâtir les maisons, « à entre-bâiller les portes, à porter de nouveau les belles robes brodées. »

M. Dubois ne doute pas que l’occupation française ne rende à Tombouctou ses beaux jours, n’ouvre à cette métropole appauvrie et diminuée une nouvelle ère de gloire et de prospérité. Il lui prophétise de grands bonheurs, il lui promet des merveilles, le prochain déblaiement du marigot ensablé de Kabara, son grand fleuve lui apportant une eau plus abondante, ses campagnes subitement rafraîchies, le reverdissement de ses palmiers, des avenues ombragées, une ceinture de jardins, le désert dompté, des locomotives électriques circulant dans