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Mais la belle humeur ne suffit pas ; c’est surtout en matière de voyages que l’art des préparations est essentiel. M. Dubois avait soigneusement préparé le sien. Il savait exactement ce qu’il voulait voir, ce qu’il voulait faire, quels problèmes il se proposait de creuser et de résoudre, et il avait réfléchi sur les meilleures méthodes à suivre. Ce n’est pas en touriste, ce n’est pas en simple curieux qu’il a vu Tombouctou. Il s’était promis de reconstituer son histoire ; il a fait une enquête en forme, et le Soudan n’est pas un pays où les langues se délient facilement. Le noir est circonspect, il dit lui-même « qu’il lui faut du temps pour cracher tout ce qu’il a dans le ventre. »

A Dienné déjà, M. Dubois s’était acquis la réputation d’un intrépide et indiscret questionneur ; on l’avait surnommé l’homme aux questions, le marabout blanc, marabout toubab. Il plaisait ; on le regardait en riant, mais on lui répondait. Les hommes le saluaient à la mode arabe, en portant leur main droite au front, puis au cœur ; les femmes faisaient sur son passage, avec une gaucherie qui ne manquait pas de grâce, le geste du salut militaire. On tenait l’homme aux questions pour un maniaque inoffensif, et on lui témoignait un intérêt mêlé de compassion. A Tombouctou, il réussit sans trop de peine à réunir autour de lui tous les savans de l’endroit ; on s’assemblait dans une petite cour protégée par de grandes tentures contre les ardeurs du soleil saharien. Accroupis sur leurs talons le long des murs, ces hommes prudens devinrent loquaces : « La lente mais pittoresque et minutieuse parole orientale coulait à pleins bords. » Durant ces longs interrogatoires, des pinsons à la queue rouge sautillaient, piaillaient sans répit, et d’effrontés lézards grimpaient sur les épaules des orateurs. M. Dubois avait rapidement apprivoisé son monde, et bientôt aux récits succéda la lecture à haute voix des vieilles chroniques tombouctiennes. Traditions orales, traditions écrites, il n’a rien négligé pour s’initier aux mystères de la capitale de l’islam noir. Il nous la montre telle qu’elle fut, telle qu’elle est, telle qu’elle sera demain, si nous savons nous y prendre et si les destins et les Touaregs ne contrarient pas trop nos entreprises.

Quand le docteur Oscar Lenz, voyageur autrichien, arriva à Tombouctou en 1880, il put se vanter que quatre Européens seulement y étaient entrés avant lui[1]. Le premier avait été un matelot français, Paul Imbert, qui, fait prisonnier par des Marocains, vendu comme esclave, suivit son maître sur les bords du Niger. Celui-là n’avait jamais

  1. ''Timbuktu, Reise durch Marokko, die Sahara und den Sudan, yon Dr. Oskar Lenz ; Leipzig, 1884.