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M. Delbrück ; mais c’est peut-être en vain que M. Naumann les discute et les conteste ; si le groupement Naumann se développe, il sera, avant tout, un groupement ouvrier. Et de quelle importance il pourrait être, pour la situation intérieure de l’Allemagne et même pour sa politique extérieure, qu’une partie de son prolétariat, quittant les enseignes internationales de MM. Bebel et Liebknecht, se rangeât derrière M. Naumann, nouveau guide du quatrième État vers la conquête des pouvoirs, et partisan, pourtant, du développement militaire et colonial de l’Allemagne monarchique : c’est ce que nous laissons au lecteur le soin d’entrevoir, et c’est ce que signifient quelques prophètes en augurant à M. Naumann un immense rôle politique. Déjà, par le fait même de leurs préoccupations sociales, certaines notabilités sont expulsées ou s’expulsent des vieux partis : M. Delbrück a délaissé les Freiconservativen, et M. Kulemann, hôte assidu des congrès évangéliques sociaux, a délaissé les nationaux-libéraux ; M. Naumann assiste avec confiance à cette désagrégation du passé, qui lui fournit des pierres pour son édifice d’avenir, pour cette feste Burg dont l’assemblée d’Erfurt a commencé d’esquisser les plans. Dispersé maintenant à travers l’Empire, l’état-major dont Erfurt a vu la parade s’occupe de recruter l’armée socialiste-nationale. M. Naumann et ses amis demandent une armée ; si pour la rassembler quelques mois leur suffisent, l’ « Association pour le socialisme national » sera, l’an prochain, érigée en parti ; et le pasteur de Francfort, prévenu, par les atroces malheurs de M. Stoecker, que la fortune d’un parti ne doit point être attachée à celle d’un homme, en cédera la présidence à l’un de ses amis.

Alors l’Allemagne deviendrait le théâtre d’un mouvement purement ouvrier « sur base chrétienne ». Remarquez cette formule, prônée par M. Sohm : elle est plus élastique, moins contraignante, que la vieille formule qui poussa M. Stoecker en avant : « Au nom du christianisme. » S’il n’avait tenu qu’à M. Goehre ou aux amis de M. Lehmann-Hohenberg, aurait-on conservé, même, dans la déclaration de principes votée à Erfurt, une étiquette religieuse ? M. Naumann, en tout cas, d’accord avec M. le professeur Harnack, désire que, dans son parti socialiste-national, tous puissent prendre place, protestans, catholiques, juifs même ; voilà pourquoi, dans ce document d’origine protestante, aucune allusion à la Réforme ne s’est glissée ; et si l’attachement au christianisme est affirmé, c’est avant tout parce que Jésus-Christ, pour