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railleries des couches indifférentes de l’opinion. Le Vorwärts, journal socialiste, publia en 1895 une lettre privée que le prédicateur de la cour avait, en 1888, adressée à M. de Hammerstein ; et sans même juger sévèrement ce viol des pensées intimes, on condamna l’épistolier trahi, qui dans cette lettre ébauchait un plan d’obsessions destiné à détacher Guillaume II de la politique du Cartell, voire même de M. de Bismarck. Se ravalant à la taille de beaucoup de ses ennemis, M. Stoecker n’avait point hésité à servir la théocratie par l’intrigue et ses grands desseins par de petits moyens ; ce papier indélicatement dévoilé en était une preuve surabondante ; et la multitude des spectateurs politiques, après avoir plus jalousement serré leurs propres copie-lettres et les lettres, aussi, des amis auxquels ils tenaient, se gaussèrent brutalement de M. Stoecker. Il lui manquait une dernière disgrâce ; l’empereur la lui asséna. Le 28 février dernier, Guillaume II faisait courir sur les fils télégraphiques de son empire la dépêche suivante :


Berlin. Château, 28 février 1896.

Stoecker a fini comme je l’avais prédit il y a des années ! Des pasteurs politiques, c’est une absurdité. Qui est chrétien est aussi social ; « chrétien-social » est un non-sens qui conduit à l’exaltation personnelle et à l’intolérance, toutes deux contraires au christianisme. Messieurs les pasteurs doivent s’occuper des âmes de leurs fidèles, cultiver la charité, mais laisser la politique hors de jeu, car elle ne les regarde point du tout.

GUILLAUME IMPERATOR REX.


C’est à son ancien précepteur que l’empereur expédiait ce billet ; quelques semaines après, M. de Stumm, exécuteur peut-être trop empressé, le livrait à la presse. Vicissitudes de destinées et vicissitudes d’opinion ! La réunion Waldersee de 1887, honorée du discours significatif du prince Guillaume, avait marqué l’apogée de la carrière de M. Stoecker ; le télégramme de 1896, signé de l’empereur Guillaume, semblait en marquer le terme. Et l’orateur princier de 1887 avait invoqué avec respect la pensée chrétienne-sociale ; le souverain, en 1896, traitait de non-sens l’accouplement de ces deux mots. M. Adolphe Stoecker et le christianisme social avaient été tour à tour exaltés ensemble et abaissés ensemble ; et l’ancien prédicateur de la cour pouvait trouver dans ce parallélisme une amère consolation.

Il y a quelque chose de tragique dans la destinée de M. Stoecker. Sur sa physionomie certaines rubriques resplendissaient, qui traduisaient nettement ce qu’il était, et plus encore ce qu’il se piquait