Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déférence dues à M. Stoecker ; et la croissance de ce parti nouveau resterait incomprise, si l’on y voyait, purement et simplement, un symptôme de cette impatience grossière que mettent parfois les jeunes gens à creuser la fosse des vieillards : il y avait, entre ces « jeunes » et M. Stoecker, et plus encore entre eux et les amis de M. Stoecker, une divergence de tendances et de désirs. L’ancien prédicateur de la cour, en dépit de ses nombreuses difficultés, demeurait un homme politique ; en dépit des déceptions que lui avaient infligées la plupart de ses amis conservateurs par leur accession au défunt Cartell de M. de Bismarck, il demeurait un membre assidu du parti conservateur ; le programme qu’il élaborait en 1891 pour la « réunion monarchique-sociale » rendait plus notoires encore les liens qui l’unissaient à cette fraction ; et l’on put croire, en décembre 1892, que ces liens étaient réciproques, lorsqu’elle admit, dans son propre programme de Tivoli, la plupart des revendications chrétiennes-sociales de M. Stoecker. Or cette alliance, à laquelle il était enchaîné par son besoin de jouer un rôle politique, comportait des rançons. Si le christianisme social s’attachait au « conservatisme » prussien, il devait tout d’abord refuser son concours à la formation de groupemens ouvriers indépendans, qui permettraient aux prolétaires d’organiser eux-mêmes la défense de leurs intérêts et le succès de leurs revendications ; il devait en second lieu laisser de côté la question des contrats agraires et des ouvriers agricoles, essentiellement déplaisante pour la féodalité conservatrice ; il devait enfin adapter aux maximes de ce groupe politique son attitude à l’endroit du socialisme. Voilà le triple sacrifice que les « jeunes » ne voulaient ni ne pouvaient faire.

M. Goehre leur enseignait que les masses appréciaient, dans le socialisme, un instrument d’organisation ouvrière, et que le christianisme devait tenir compte de cette leçon. Il développait, au congrès social évangélique de 1892, de concert avec M. Max Weber, professeur à l’université de Fribourg-en-Brisgau, les résultats d’une vaste et curieuse enquête sur la situation de la plèbe rurale ; et les grands propriétaires terriens du parti conservateur, tout disposés naguère à montrer aux ouvriers des villes une bienveillance dont les industriels seuls payaient les frais, protestaient au contraire et se rebellaient dès que le christianisme social prétendait s’interposer entre eux et les travailleurs des campagnes. M. Naumann, enfin, dans les congrès évangéliques et dans les meetings socialistes, dans ses écrits d’économie chrétienne et