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Aux applaudissemens de ces adhérens nouveaux, M. Stoecker s’exclamait que la question sociale c’est la question juive : affirmation qu’à peine il démontrait, car l’antisémitisme, chez lui, prenait immédiatement un caractère religieux. C’est en alléguant et en prouvant l’hostilité systématique, étrangement injurieuse, de la presse juive contre le nom chrétien et contre les institutions chrétiennes, que M. Stoecker, auprès de Guillaume Ier, comme auprès du public, justifiait ses propres violences. Mouvement de défensive confessionnelle, réaction violente contre l’antichristianisme des juifs, expression négative de ses convictions chrétiennes à lui Stoecker, son antisémitisme trouvait, dans cette origine même, une limite ; et l’on entendait le prédicateur dénoncer et réfuter ce qu’il appelait l’ « erreur antisémite », c’est-à-dire les théories qui poussent à la haine des races et qui dès lors impliquent un manque de déférence à l’égard de l’Ancien Testament. M. Stoecker prétendait venger l’orthodoxie des attaques du journalisme, et voilà pourquoi son antisémitisme était passionné ; mais il la prétendait garder intégrale, avec toute la Bible, avec l’histoire de l’ancien peuple de Dieu, avenue de l’histoire chrétienne, et voilà pourquoi son antisémitisme était incomplet.

Et M. Stoecker, enfin, qui ne voulait soustraire à la prise de Dieu rien de ce qu’il pouvait atteindre, devinait, apercevait même — tout conquérant est en quelque mesure un voyant — disséminée dans cet immense Berlin, une petite plèbe obscure, timide, insignifiante, sans ressort et sans initiative, n’ayant ni la force de la révolte ni celle de la résignation consciente, souffrante et ne réfléchissant même point sur ses souffrances, ni bonne ni méchante, et s’affaissant avec une sorte de léthargie matérialiste le long des ornières de l’existence, partie languissante du corps social, point dangereuse à coup sûr, mais pitoyable à voir, foule sans opinion, et qui pourtant, dans nos régimes modernes, est l’un des facteurs impondérables de l’opinion. A ceux-là, qui sont vraiment les « petits », qu’importent les tribuns ? Il leur faut de doux apôtres, des conseillers, des soutiens ; ce ne sont point des organes qu’ils requièrent, ce sont tout simplement des soins. Stoecker, pour eux, s’exerçait à la tendresse ; et appropriant aux besoins d’une capitale les institutions de la Mission Intérieure, il installait à Berlin, en 1882, la mission urbaine (Stadtmission), pêcheuse et guérisseuse d’âmes.

Evoquons d’un coup d’œil ces divers paquets d’hommes et de