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conservateurs, semblent bien prouver qu’à cette date le groupement de M. Stoecker, exclusivement composé de travailleurs, était un essai d’organisation du quatrième Etat. Avec cette coquetterie qu’il met à démontrer l’unité constante de sa carrière, le célèbre agitateur s’en est depuis lors défendu ; mais M. Paul Goehre, dans son instructive histoire du mouvement social-évangélique, maintient avec de bons argumens le caractère nettement ouvrier du premier parti Stoecker.

Quoi qu’il en soit, à la suite de la loi d’exception du 21 octobre 1878, qui débandait les forces socialistes et comprimait le mouvement ouvrier, M. Stoecker élargit peu à peu les bases de son parti : petits marchands, artisans, employés s’y présentèrent. Dans son premier recueil de discours : Christlich-Sozial, on observe qu’une harangue antisémite, prononcée le 5 janvier 1880, est adressée au « parti chrétien-social des travailleurs » ; la suivante, du 4 février, est adressée au « parti chrétien-social ». Cette chute d’un mot marquait le terme d’une évolution, à laquelle deux années avaient suffi ; le mouvement Stoecker était progressivement entré dans une voie nouvelle ; et du Stoecker héroïque, c’en était peut-être fait.

C’est au lendemain de la loi contre les socialistes et parmi le retentissement des premiers succès oratoires de Stoecker, que le conseil suprême évangélique de Prusse, dominé par les mêmes préoccupations que l’empereur et son chancelier, jugea bon de compléter le rescrit suranné de 1863, exclusif de toute activité sociale de l’Eglise. Le nouveau rescrit, daté du 20 février 1879, interdisait aux pasteurs de s’occuper des problèmes sociaux, « auxquels, la plupart du temps, ils sont fort peu initiés », et expliquait qu’ils dépasseraient leur compétence en appuyant des pétitions en faveur des réformes sociales ; mais on leur permettait, en revanche, « de mettre à profit leur expérience et leurs talens pour organiser des mutualités, des caisses pour la vieillesse et des caisses d’épargne, pour s’occuper des ouvrières, des enfans, des malades, de la salubrité des habitations, de la convenance des lieux de plaisir destinés aux travailleurs, ou de toutes autres tentatives d’une utilité générale (gemeinnützig) pour le bien des classes ouvrières. » Remarquez cette dernière phrase : elle est à deux tranchans ; spécimen par excellence du style officiel, qui signifie trop ou trop peu, elle permettra aux consistoires d’encourager ou d’entraver les pasteurs chrétiens-sociaux en alléguant, dans le premier cas, le bien des classes ouvrières, et, dans le