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réaliser ; et le Staatssocialist, dont le premier numéro parut le 1er janvier 1878, servait d’organe à ce groupe d’études, qui réclamait une politique foncièrement réformiste (eine Politik durch-greifender sozialen Reformen). Pour la première fois, la pensée sociale évangélique invoquait nettement l’État : cette innovation, dont l’importance économique saute aux yeux, devait avoir des effets politiques durables et fixer à jamais l’orientation du mouvement ; car un groupement qui recourt à l’État et qui lui propose un programme doit aspirer logiquement à pénétrer dans cet État sous la forme d’un parti ; et c’est en vain, dès lors, que l’activité de Todt et de ses amis affectait un caractère académique ; elle devait s’exprimer, tôt ou tard, en manifestes électoraux pour le Reichstag. On lisait, aussi, parmi leurs maximes, que « la solution de la question sociale n’est point concevable sans l’intervention de l’Eglise pour les revendications légitimes du quatrième État » ; et lorsqu’ils précisaient ainsi le rôle dévolu à l’Eglise, ils imprimaient au mouvement une allure plus rapide que ne l’avait fait le livre même de Todt, timide encore et presque gêné pour traiter cette délicate question. Entre ces sociologues chrétiens d’une part, l’État et l’Eglise d’autre part, une rencontre et comme une tentative de compénétration semblaient donc prochaines : Adolphe Stoecker brusqua l’événement.

M. Stoecker est peut-être la plus insigne victime de ces cyclones de pudeur publique qui depuis quelque temps, en tous pays — avec plus de discernement, d’ailleurs, que ne le faisaient jadis les caprices des favorites, — bouleversent l’aspect des scènes politiques, y couchent à terre un certain nombre de coquins et meurtrissent quelques honnêtes gens. Il est de mode en Allemagne, aujourd’hui, d’afficher un outrageant dédain pour cette personnalité longtemps inquiétante ; c’est une mode à laquelle nous résisterons, faisant plutôt effort pour comprendre M. Stoecker. Au surplus, en lui, l’homme politique n’est point tout l’homme. Par conviction comme par tempérament, M. Stoecker est un théocrate, et voilà d’où il faut partir pour le juger. Aux conceptions théocratiques, le vêtement protestant s’ajuste mal ; trop souple, trop lâche, il les met mal à l’aise, ou plutôt trop à l’aise, et ne leur assure point l’indispensable sécurité des contours ; et c’est pourquoi M. Stoecker, rigoureux en son orthodoxie, aspira toujours à resserrer et à raidir les plis de ce vêtement : le théologien farouche, en lui, est fils du théocrate. In Christo movemur, vivimus et sumus : faites l’hypothèse d’une