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à un milliard de francs, dont nous pourrions à grand’peine nous approprier le tiers ou la moitié. Faut-il pour ce gain très hypothétique mettre en péril les 3 milliards 750 millions de marchandises que le Royaume-Uni exporte en pays étrangers ? La réponse n’est pas douteuse.

Des deux côtés, de la part de la métropole comme de la part des colonies, l’établissement d’une union douanière de l’Empire britannique ou d’un régime s’en rapprochant, implique l’abandon de traditions à demi séculaires et une perturbation économique fort sérieuse. Sans doute, le protectionnisme à outrance perd du terrain aux colonies : les idées de réforme fiscale, d’augmentation des impôts directs qui tendent à prévaloir en Australasie, faciliteraient l’abaissement des droits de douane ; d’autre part, le libre-échange n’est plus pour les Anglais l’article de foi d’il y a vingt ans. Mais on est loin de s’entendre encore et cette union commerciale, qui doit être la préface d’une union politique plus intime, ne se réalisera pas sans doute avant bien des années.

Y a-t-il, du reste, péril en la demeure et les colonies sont-elles si mécontentes de leur position actuelle qu’il faille, pour les maintenir unies à la métropole, adopter un régime qui serait, quoi qu’en ait dit, avec une nuance de paradoxe, M. Chamberlain, une grave atteinte au libre-échange et un retour vers l’ancien système colonial ?

Nous ne le pensons pas ; et, si l’Australie, le Canada, ou le Cap n’étaient point satisfaits actuellement, c’est qu’ils seraient bien difficiles à contenter. D’aspiration vers l’indépendance, il y en a peu dans les colonies. Si elles possédaient une certaine force quelque part, ce serait en Australie, chez les partis très avancés. Encore est-il bien rare qu’un homme politique ose se prononcer dans ce sens et il ne serait pas suivi. La seule déclaration peu loyaliste que nous connaissions d’un personnage en vue, c’est une phrase du premier ministre de la Nouvelle-Zélande qui prétendait obliger le gouverneur à nommer membres de la Chambre haute plusieurs agitateurs ouvriers. Le gouverneur ne voulant pas y consentir, refusait de créer de nouveaux sénateurs, comme c’était son droit. « Une pareille attitude, dit le ministre, est dans le cas d’affaiblir les liens qui unissent cette colonie à l’Angleterre. » En dehors de cette phrase échappée à un politicien bruyant et brouillon, nous n’avons à relever que l’attitude du chef du parti ouvrier dans l’Australie du Sud, réclamant à la dernière session du Parlement la suppression des gouverneurs