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de l’union politique. Ainsi les industries de Melbourne, maintenues seulement à grand renfort de tarifs protecteurs, ne pourraient sans doute soutenir la concurrence de celles de Sydney plus favorablement placées ; les habitans de la première de ces villes craignent aussi que les Néo-Gallois, qui ont toujours pris l’initiative des projets de fédération, ne méditent de faire de leur capitale celle de l’Australie entière, ce qu’ils ne souffriraient à aucun prix. Pour provoquer un courant d’opinion qui pût avoir raison de tous ces froissemens locaux, peut-être faudrait-il la crainte de quelque danger commun, venant de l’extérieur. La confédération des colonies canadiennes, pays plus calmes, où les rivalités locales avaient moins de force qu’en Australie, a été grandement favorisée par la crainte de voir les États-Unis absorber les diverses provinces si elles restaient isolées en face d’un si puissant voisin. Et lorsqu’on remonte aux origines de l’Union américaine elle-même, on se rend compte combien la constitution d’un pareil État est difficile. Après avoir en commun conquis leur indépendance, les treize anciennes colonies, jalouses de conserver leurs libertés particulières, avaient d’abord organisé par les « Articles de confédération », un gouvernement commun, composé d’un simple conseil fédéral, sans exécutif, sans ressources propres, obligé à tout instant d’en référer aux États, si faible enfin que l’Union faillit tomber en poussière. L’anarchie qui résultait d’un tel état de choses, la crainte aussi d’un retour offensif de l’étranger, le souvenir du sang versé en commun eurent enfin raison de tous les obstacles et déterminèrent la réunion d’un congrès à Philadelphie et le vote, en 1787 seulement, onze ans après la déclaration d’indépendance, de l’admirable constitution qui régit aujourd’hui les États-Unis d’Amérique. Encore certains États ne donnèrent-ils leur adhésion qu’en 1791, et soixante-dix ans plus tard, l’Union faillit être rompue, ne fut restaurée qu’après l’une des plus épouvantables guerres qu’ait connues le monde civilisé et qui coûta la vie à 500 000 hommes. Les grandes œuvres ne s’enfantent que dans la douleur. Les colonies australiennes n’ont pas, comme les États américains, le souvenir de souffrances et de luttes communes ; elles n’ont pas, pour les déterminer à s’unir, la nécessité d’échapper à une tyrannie qui pèse sur elles toutes ; il n’y a pas de raison immédiate et pour ainsi dire tangible qui leur impose la fédération comme condition non seulement du progrès, mais de la liberté et de la vie.

Elles échappent, il est vrai, à certaines causes de désunion qui