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répercute, mais avec une intensité plus grande, tous les mouvemens qui agitent la mère patrie. C’est surtout en Australie qu’il faut l’étudier parce qu’il s’y développe plus librement, tandis qu’au Canada le voisinage des États-Unis et la présence des Français, au Cap celle des Boers et des noirs, introduisent des élémens nouveaux. Aux antipodes, il a ses coudées franches, et il en profite : le suffrage universel y est établi, et déjà le féminisme, encore timide en Angleterre, plus fort en Amérique, compte chaque jour de nouveaux triomphes en Australasie, où, les unes après les autres, les colonies accordent aux femmes le droit de suffrage politique. Au point de vue religieux, la diversité des sectes a entraîné, dans les trois groupes, cette fois, le désétablissement de l’Eglise anglicane, et aujourd’hui aucun culte n’est plus subventionné par l’Etat. Il faut encore signaler ici l’intensité qu’a prise dans les colonies ce curieux mouvement de l’Armée du Salut, — dont nous n’avons guère vu en France, où il n’a pas de raison d’être, que les côtés ridicules, — mais qui est, au fond, une réaction contre le froid rationalisme des sectes protestantes extrêmes, incapable d’avoir prise sur les couches profondes de la population. Sous ses apparences burlesques, l’Armée du Salut les atteint, au contraire, en rétablissant quelques manifestations extérieures de la croyance, si nécessaires aux masses, comme l’a compris le catholicisme. Dans tous les camps de chercheurs d’or du monde, en Amérique, en Océanie, en Afrique, j’ai vu une foule nombreuse suivre les processions salutistes, et partout on m’a témoigné que dans leurs « casernes », bien des misères étaient soulagées. De l’égalité des Eglises est née aux colonies la neutralité des écoles. Si dans certaines provinces canadiennes, l’enseignement confessionnel a été maintenu, parce que les différences de croyance y correspondent aux différences de langue, l’école est neutre en Australie et au Cap, tout en étant très respectueuse de la religion et de l’idée de Dieu[1].

Les tendances que nous venons de signaler dans les dépendances anglaises peuvent sembler nôtre que l’exagération de celles qui existent en Grande-Bretagne même : les colonies seraient ainsi seulement plus avancées que la métropole sur une

  1. Cette neutralité est néanmoins mal vue des catholiques australiens qui craignent qu’un enseignement dont les tendances sont protestantes, ne leur fasse perdre une partie de leurs enfans. Aussi entretiennent-ils à leurs frais beaucoup d’écoles privées ; mais c’est là une lourde charge pour eux.