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chose des soins que vous donnez à tout le monde autour de vous. Toujours est-il qu’il n’y a pas assurément d’opération à vous faire, comme à ce monsieur dont vous deviez accompagner la femme éplorée ? Ce qu’il vous faut, ce me semble, c’est le grand air de Touraine, mon air natal, et, dit-on, l’usage de la limonade et des citrons. On l’employa près de moi à Londres, un jour d’hiver où le charbon de terre d’un de mes amis m’avait asphyxié près de sa cheminée. J’entendais parler autour de moi et ne pouvais ni faire un signe, ni ouvrir les yeux. — N’est-ce pas cela ? — N’avez-vous pas senti combien on s’indigne dans son cœur de cette immobilité qui nous enchaîne ?

Je suis désolé de penser que vous avez aussi éprouvé cette souffrance, mais je vois tant de calme, tant d’ordre, de régularité dans votre gracieux billet et dans votre écriture, qu’il me semble que rien de douloureux ne vous attriste à présent. Je voudrais bien qu’il vous plût, chère amie, d’écrire à côté de la date de vos lettres votre séjour du moment. Je vais probablement vous écrire à Dolbeau pendant que vous serez à Tours. Vous ne me parlez jamais de votre mère, de votre père, de mon cousin, votre mari, de votre fils. Je ne sais où il est élevé, ni par qui, si votre mère est guérie, si personne n’est souffrant parmi vos proches. J’aimerais à me représenter votre vie intérieure. Aucun de nous n’est isolé et comme posé sur la pointe d’une aiguille ; notre vie est toujours appuyée sur quelqu’un, et resserrée par le voisinage des relations de famille, comme un arbre par les branches d’une forêt qui l’entoure, et quelquefois l’étouffé. — J’aimerais à connaître les frênes et les chênes qui vous pressent. — Parlez-moi d’eux, si ma bien véritable affection vous est toujours aussi chère qu’à votre dernier voyage (ou passage), si ancien déjà !


XVIII


Paris, lundi 15 avril 1861.

La vie est bonne pendant trente ans, chère Alexandrine ; après cela on ne cesse, hélas ! de voir souffrir et s’éteindre ceux que l’on aime… Je ne puis que vous plaindre d’être arrivée à ce degré de peines où, dans l’ordre de la nature, nous conduit infailliblement la vie de famille. — En vous écrivant je suis assis à la fenêtre, près du lit de ma chère Lydia, couchée encore depuis quelques jours et n’ayant que moi pour la distraire et la consoler.