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Prusse comme à ceux de la Russie. Pendant qu’il faisait entendre ses remontrances sur ce point, d’un ton ferme et résolu, il se montrait de plus en plus conciliant sur la question des Duchés. Séduit ou trompé, le cabinet de Londres renonça à ses velléités belliqueuses, et le courrier porteur de la déclaration de déchéance, qui était en route pour Saint-Pétersbourg, fut rappelé à Londres. L’insurrection était loin, en ce moment, d’être totalement réprimée, et sur les bords de la Neva, on sut gré à M. de Bismarck de l’altitude qu’il avait prise en cette circonstance.

Le principal ministre du roi Guillaume crut que l’occasion était propice pour se livrer, dans l’affaire des Duchés, à une première évolution. Changeant d’avis, et paraissant le regretter, il insinua que l’exécution devenait une mesure utile à toutes les parties intéressées, même au Danemark, dont la souveraineté était menacée, affirmait-il, par ses adversaires, résolus à lever l’étendard de la révolte. L’exécution, ajoutait-il, implique la reconnaissance des droits de la couronne danoise sur ces contrées, puisqu’elle ne peut être ordonnée que contre un confédéré dont on ne conteste pas les titres à une légitime possession ; si la confédération voulait les méconnaître, ce ne serait pas une simple mesure fédérale qu’elle aurait à ordonner, elle devrait prendre l’initiative d’une agression, d’un acte de guerre. Le prince Gortchakof partageait cet avis, et il en convenait avec l’ambassadeur d’Angleterre à Saint-Pétersbourg. Fort de l’appui du chancelier russe, M. de Bismarck accentue avec plus de précision sa nouvelle manière d’envisager les choses. Quant à sir A. Buchanan, il ne parvenait pas à comprendre les subtiles distinctions à l’aide desquelles son interlocuteur entendait justifier sa conduite. Il donna l’alarme, et on fut consterné à Londres. Les conseillers de la reine Victoria n’en étaient qu’à leur premier déboire, et bien que lord Palmerston eût déclaré à la Chambre des communes que « au jour du danger le Danemark ne combattrait pas seul », M. de Bismarck se proposait de leur en ménager bien d’autres qu’il serait fastidieux de raconter ici. Nous nous sommes attardé sur ces incidens diplomatiques, — et on nous le pardonnera, — parce qu’il nous fallait bien établir la préméditation qui a présidé aux premiers actes du nouveau ministre prussien, si nous voulions, plus loin, en apprécier la moralité[1].

Disons néanmoins que M. de Bismarck déguisa, jusqu’à la dernière heure, à Londres comme à Paris, ses vues ambitieuses. Il suggéra successivement des concessions politiques ou administratives qui, accordées aux Duchés par le roi de Danemark,

  1. Voyez Études de diplomatie contemporaine, par Julian Klaczko ; Furne, 1866.