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Francfort, il s’abstint d’encourager ouvertement toute résolution compromettante ; il ne s’opposa pas longtemps cependant à l’exécution, c’est-à-dire à l’occupation des Duchés par un contingent fédéral. Aux puissances qui jugeaient cette mesure périlleuse pour l’indépendance du royaume danois, il prodigua des assurances réitérées. La question des Duchés avait donné lieu, en 1852, à la réunion à Londres d’une conférence, et on y avait signé une convention stipulant l’intégrité du Danemark. L’ambassadeur d’Angleterre à Berlin, sir à Buchanan, en rappelait souvent les termes à M. de Bismarck qui lui répondait : « Mais vous prêchez un converti, » prétendant que le gouvernement prussien entendait faire respecter et respecter lui-même l’accord établi entre toutes les grandes puissances. Rien n’est plus curieux, plus navrant, devrions-nous dire, que la lecture de la correspondance du représentant de l’Angleterre à Berlin à cette époque ; il recueille soigneusement les déclarations rassurantes de son interlocuteur, et il les transmet à son gouvernement, ne sachant pas toujours quel degré de confiance il est permis de leur accorder.

Il arrive même un moment où M. de Bismarck se montre disposé à accepter la médiation de la Grande-Bretagne. Il tient le même langage à l’envoyé danois, M. de Quaade : « Je puis déclarer en conscience, écrit ce diplomate à sa cour, que le gouvernement prussien désire que l’exécution n’ait pas lieu. M. de Bismarck m’a assuré que lui, personnellement, et le gouvernement dont il fait partie sont en faveur d’un arrangement. » « Ce qui est important pour moi, mande-t-il plus tard, c’est d’éviter soigneusement tout ce qui pourrait manifester, de ma part, un manque de confiance dans les paroles ou dans le pouvoir de M. de Bismarck. Il m’a donné itérativement l’assurance que l’affaire était dans la meilleure situation possible ; il est sincère dans ses efforts pour trouver une issue pacifique. » Pendant plusieurs mois, il a leurré ainsi la diplomatie sur ses véritables intentions.

Une autre question, celle de Pologne, faisait l’objet, en ce moment même, d’un échange de vues fort actif entre les grandes puissances, et le cabinet anglais avait pris, par l’organe de lord John Russel, l’initiative d’une proposition tendant à reconnaître aux insurgés polonais la qualité de belligérans. Ce Principal Secrétaire d’État pour les Affaires étrangères voulait même aller plus loin, et déclarer la Russie déchue de ses droits, solidaires, prétendait-il, des conditions auxquelles les traités de Vienne les avaient subordonnés et qu’elle avait cessé de respecter. Cherchant avant tout, et à tout prix, à resserrer les relations qu’il avait nouées à Saint-Pétersbourg, M. de Bismarck s’éleva contre une pareille prétention, attentatoire, soutint-il, aux droits de la