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de confier à ce diplomate, dont il avait pu apprécier les aptitudes, la direction de la politique de la Prusse. Après l’avoir accrédité à Paris pendant quelques mois pour lui permettre d’étudier un centre qui lui était inconnu, il le rappela à Berlin pour lui remettre, avec le ministère des Affaires étrangères, la présidence du Conseil. C’était en septembre 1862, un an après la mort de Cavour, et l’Europe vit ainsi se lever, dans le Nord, un astre d’une lumière plus vive, autrement plus troublante que celle dont avait brillé l’astre qui s’était couché dans le Midi.

Personne, parmi les hommes d’Etat, n’ignorait M. de Bismarck au moment où il prit le pouvoir. Le bruit qu’il avait fait à Francfort, le trouble qu’il avait jeté dans les rangs de la Diète, les opinions qu’il avait exprimées si véhémentement n’étaient plus un mystère, et dès ses premiers actes il devint évident qu’on avait affaire à un diplomate ambitieux et entreprenant, que sous sa main la Prusse tenterait de se dégager des entraves fédérales pour inaugurer une politique active et indépendante. Les circonstances s’y prêtaient ; il se hâta de les mettre à profit. La Pologne s’était insurgée, et la Diète avait repris la nébuleuse et éternelle question des duchés du Holstein et du Schleswig.

On considéra à Berlin que ces duchés, revendiqués par des prétendans et par la Diète, disputés au roi de Danemark, étant à tout le monde, n’étaient réellement à personne, et que la Prusse pouvait légitimement en convoiter la possession. Pour atteindre ce but, M. de Bismarck, faisant un détour, prit le chemin de Saint-Pétersbourg. Il proposa au cabinet russe de conclure une convention par laquelle le gouvernement du roi s’engagerait à concourir à la répression de la révolte polonaise qui, de Varsovie, s’était étendue à tout le royaume. L’offre fut agréée et l’accord fut stipulé dans un acte que l’on qualifia de cartel pour en déguiser la véritable portée. Ce fut le premier succès diplomatique de M. de Bismarck. Il y avait en effet, dès ce moment, partie liée entre les deux gouvernemens, et nous verrons le précieux parti qu’on a su tirer à Berlin, dans toutes les complications ultérieures, de ces liens nouveaux, de ce concours qui paraissait avoir été offert et accepté bénévolement. Pour consolider cette situation, le gouvernement prussien prit soin de fermer étroitement ses frontières, s’empressant de livrer aux Russes les insurgés contraints d’y chercher un refuge.

Garanti du côté de la Russie, M. de Bismarck se retourna du côté de la Diète ainsi que du côté des puissances occidentales. Il prit l’attitude d’un modérateur désintéressé, exprimant ou faisant parvenir aux cabinets son désir de contribuer à résoudre pacifiquement la querelle que les Allemands faisaient au Danemark. A