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la question avec anxiété. Elle s’en pose d’ailleurs beaucoup d’autres, et il y a longtemps que sa curiosité n’avait pas été aussi ardente, ni son attente aussi fiévreuse. Tout le monde admire l’énergie impétueuse et directe que M. de Marschall a apportée dans le débat ; il a vengé son ministère, il s’est vengé lui-même d’accusations dont, en ce qui les concerne, il ne reste rien ; mais que de soupçons pèsent sur les autres, d’autant plus redoutables qu’ils sont plus confus et plus difficiles à préciser, par conséquent à dissiper ! Quelques personnes commencent à se demander si le danger qu’on a fait naître n’est pas de nature plus maligne que celui qui a été conjuré. De quoi s’agissait-il, en somme ? On avait voulu perdre M. de Marschall dans l’esprit de l’empereur : l’esprit de l’empereur ne pouvait-il pas être éclairé autrement que par « le grand jour de la publicité » ? Cela est possible, et le sort de M. de Caprivi en est la preuve. Toutefois, on ne peut pas se dissimuler que cela est aussi très grave, et que, sur certains objets d’une nature délicate, il n’est pas sans inconvéniens d’être obligé, pour se faire entendre d’un seul, de mettre bruyamment tout le monde dans la confidence. Le scandale n’a jamais été un bon remède à aucun mal. Qu’il y ait des abus dans le fonctionnement de la police, à vrai dire, on s’en doutait bien ; le plus sage aurait été de les rechercher et de les corriger avec moins de tapage. On ne l’a pas fait, parce qu’il existe actuellement en Allemagne deux politiques, celle d’hier et celle d’aujourd’hui, dont les représentans conspirent, complotent, se heurtent, se choquent les uns contre les autres. Et lorsque les passions opposées ne peuvent pas ou n’osent pas se donner franchement carrière dans des conflits publics qui seraient sans doute réprimés, elles prennent leur revanche et trouvent un exutoire dans des intrigues qui échappent plus facilement et plus longtemps à l’attention, pour aboutir enfin à une explosion violente. M. de Marschall s’est fort bien défendu, soit : peut-être aurait-il mieux valu qu’il ne fût pas amené à se défendre comme il l’a fait. La police secrète n’est évidemment pas une institution très respectable ; pourtant, c’est une institution d’État, et, à chaque phrase de M. de Marschall, il semblait qu’on entendît tomber tout un pan de muraille de l’édifice gouvernemental : on apercevait alors avec étonnement ce qui était derrière. Il en résulte dans les esprits un ébranlement dont ils auront beaucoup de peine à se remettre et qui, dans un pays comme l’Allemagne, ne se calmera pas sans doute avant longtemps.


Le 8 juin dernier, le tribunal mixte du Caire a rendu son jugement dans l’affaire semi-politique, semi-financière, qui avait été portée devant lui par les représentans privés et publics des créanciers égyptiens. Le tribunal ne pouvait naturellement se placer, et ne s’était placé qu’au point de vue du droit strict. Les faits sont trop connus pour